L’austérité permet-elle de réduire la dette publique ? (Partie 3)

10 juillet par Maxime Perriot


Photo : Dirk Ingo Franke, CC, Wikimedia Commons, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Berlin_Wedding_fuck_austerity_14.11.2015_14-14-17.JPG

Au vu du prix payé par les classes populaires quand des politiques d’austérité sont appliquées, analysons si leur but premier – réduire la dette publique – est atteint.



Tout d’abord, les objectifs fixés par l’Union européenne en termes de dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
publique (60% du PIB PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
) ne sont pas atteints par tous les pays de l’Union européenne, loin de là. Par exemple, la France (113% fin 2024), l’Espagne (101,8% fin 2024), la Grèce (153,6% fin 2024), l’Italie (135,3% fin 2024) et la Belgique (104,7% fin 2024) étaient endettées à plus de 100% de leur PIB à la fin de l’année 2024 [1].

La Grèce, qui a subi une des pires cures d’austérité de l’Histoire [2] entre 2010 et 2015, sous les ordres de la Troïka (FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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, Commission européenne, Banque centrale européenne BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
), a vu sa dette publique passer de 132,1% du PIB en 2010 à 179,6% du PIB fin 2015 [3]. L’Espagne, sous la politique austéritaire du très conservateur Mariano Rajoy, a vu sa dette passée de 73,6% de son PIB début 2012 à 102% du PIB fin 2016 [4]. En France, de 2010 à fin 2019, la décennie d’austérité menée par Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron a fait passer la dette publique française de 85,9% du PIB à 98,2% du PIB [5]. En Allemagne, alors que l’augmentation réelle restait limitée par voie légale, la coalition conservatrice (CDU-CSU) – social-démocrate (SPD) en place en 2025 a fait sauter le blocage et augmente progressivement la dette publique tout en poursuivant une politique néolibérale.

Depuis que les gouvernements et les économistes sont obsédées par la limitation du déficit et de la dette publique, elle ne fait qu’augmenter. Pourquoi les objectifs en termes de dette publique ne sont-ils pas atteints ? Pourquoi les dettes publiques des États ont-elles même tendance à augmenter plutôt qu’à diminuer malgré l’austérité ? Plusieurs raisons expliquent cette évolution à la hausse.

  Pourquoi la dette continue-t-elle à augmenter ?

La hausse moyenne de la dette publique, s’explique en partie par des causes conjoncturelles, par des crises. Pour répondre à ces crises, les États ont mobilisé de l’argent public et ont donc creusé leur dette publique. Ils auraient pu agir différemment.

1) Lors de la crise dite des subprimes Subprimes Crédits hypothécaires spéciaux développés à partir du milieu des années 2000, principalement aux États-Unis. Spéciaux car, à l’inverse des crédits « primes », ils sont destinés à des ménages à faibles revenus déjà fortement endettés et étaient donc plus risqués ; ils étaient ainsi également potentiellement plus (« sub ») rentables, avec des taux d’intérêts variables augmentant avec le temps ; la seule garantie reposant généralement sur l’hypothèque, le prêteur se remboursant alors par la vente de la maison en cas de non-remboursement. Ces crédits ont été titrisés - leurs risques ont été « dispersés » dans des produits financiers - et achetés en masse par les grandes banques, qui se sont retrouvées avec une quantité énorme de titres qui ne valaient plus rien lorsque la bulle spéculative immobilière a éclaté fin 2007.
Voir l’outil pédagogique « Le puzzle des subprimes »
de 2007-2008 [6], les États-Unis et les États européens ont fait le choix de sauver les grandes banques privées qui menaçaient de s’effondrer, sans décider de les soumettre à des règles strictes. Les gouvernants ont sauvé les grands actionnaires qui ont continué à s’enrichir alors qu’ils étaient responsables de la crise bancaire.
Ces sauvetages et le coût de la récession Récession Croissance négative de l’activité économique dans un pays ou une branche pendant au moins deux trimestres consécutifs. due à la crise financière et économique ont largement creusé les dettes publiques. Par exemple, entre 2008 et 2012, l’Irlande a versé 63 milliards d’euros en aides publiques directes aux banques [7], soit un peu moins d’un tiers de sa dette publique à la fin de l’année 2012 [8]. Les banquiers et actionnaires qui avaient clairement trompé la population en prêtant à outrance en sachant que certaines emprunteureuses ne pourraient pas rembourser, ou plus globalement en prenant beaucoup trop de risques dans l’achat et la vente de produits financiers Produits financiers Produits acquis au cours de l’exercice par une entreprise qui se rapportent à des éléments financiers (titres, comptes bancaires, devises, placements). pour faire un maximum de profit, ont donc été sauvé par de l’argent public. Ce sont les contribuables qui ont payé l’addition, rendant de fait l’endettement contracté illégitime.
 
2) La réponse apportée à cette crise a été profondément contreproductive. Les cures d’austérité qui ont été imposées par les gouvernements – justifiées par le fait que les niveaux de dettes publiques étaient trop élevés – ont stimuler l’augmentation de la dette. Ces politiques, imposées notamment en Grèce par la Troïka, ont été un véritable désastre pour les populations, ont inhibé l’activité économique et augmenté le chômage et les niveaux de pauvreté dans de larges proportions. L’austérité a provoqué une réduction des dépenses de l’État, mais également une forte baisse des recettes comme l’État n’a pas fait usage de son pouvoir de relance économique. C’est pourtant ce qu’il aurait dû faire après une crise financière au sortir de laquelle l’activité économique est en berne.
 
3) Le cercle vicieux de l’austérité après la crise financière dite des subprimes fut le suivant : les États se sont endettés pour sauver les banques privées, leur dette a augmenté, cette dette a été instrumentalisée pour mener des politiques d’austérité, qui ont elles-mêmes fait fondre les recettes de l’État et n’ont pas permis de réduire la dette. La dette a donc eu tendance à continuer à augmenter. Elle est donc restée un argument extrêmement efficace pour imposer de nouvelles politiques d’austérité, de nouvelles coupes dans les budgets sociaux, pour repousser l’âge de départ à la retraite ou imposer des privatisations. Ajoutez à cela des chocs extérieurs, comme la pandémie de Covid-19 et vous obtenez une course effrénée vers toujours plus d’austérité et toujours plus de dette. Malgré l’inefficacité évidente de ces politiques, la dette continue à être agitée sur tous les plateaux de télévision par les politiques libéraux et les éditorialistes pour justifier une austérité toujours plus prononcée.
 
4) Lors de la pandémie de Covid-19, une partie des aides publiques auraient dû être remplacées par une contribution fiscale exceptionnelle des plus riches et des entreprises qui ont profité de la pandémie (le secteur pharmaceutique, par exemple). Rappelons que les entreprises du Big Pharma et les GAFAM ont réalisé des bénéfices absolument indécents pendant cette pandémie. Malgré ces profits, les plus grandes entreprises pharmaceutiques n’ont pas daigné mettre leurs vaccins à disposition des populations du Sud Global. Le caractère exceptionnel d’une pandémie mondiale aurait pu être mobilisé pour justifier de telles mesures ou pour suspendre le paiement de la dette. En droit international, on parle de changement fondamental de circonstances. La « dette Covid » est devenue un argument de plus pour faire accepter l’austérité aux populations.

D’autre part, des raisons structurelles, liées aux choix économiques réalisés par la plupart des gouvernements, ont fait croître la dette publique en augmentant les dépenses publiques sous forme de paiements d’intérêts de la dette.

5) Concernant l’Union européenne, l’impossibilité de se financer directement auprès des Banques centrales. Comme expliqué précédemment, les traités de l’Union européenne interdisent aux États membres de se financer directement auprès de leurs banques centrales. Ils doivent se financer via les banques ou les marchés financiers Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
. Ces derniers prennent leur part sous forme d’intérêts, ce qui provoque une hausse mécanique des taux d’intérêt Taux d'intérêt Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
et donc une hausse de la dette publique. En France, les intérêts versés par les administrations publiques sont passés de moins de cinq milliards d’euros à la fin des années 1960 à plus de 50 milliards d’euros par an en 2022 et 2023 [9]. Depuis le début les années 1990, les intérêts annuels versés par les administrations publiques de la France n’ont jamais été inférieurs à 30 milliards d’euros. Ils sont en permanence très élevés, car les banques et les acteurs des marchés financiers ne prêtent pas gratuitement, contrairement au circuit de financement qui prévalait en France jusqu’à la fin des années 1970, qui garantissait des taux nuls ou très faibles (appelé circuit du Trésor). De plus, quand la Banque centrale Banque centrale La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale. européenne décide d’une hausse des taux d’intérêt, comme ce fut le cas en 2022, les intérêts payés par les États explosent au fur et à mesure du refinancement de leur dette [10].

Si les dépenses publiques illégitimes et le manque d’investissements publiques ont joué un rôle important dans la hausse continue de la dette publique au cours des dernières décennies, il est également fondamental d’aborder la question des recettes publiques. En effet, la dette publique n’est que le résultat d’une addition de déficits publics. Or, un déficit public est lui-même le résultat de la soustraction entre les recettes publiques et les dépenses publiques. Les premières sont donc tout aussi importantes que les secondes.

 Les recettes, grandes oubliées du débat sur la dette publique

Le problème de la dette publique n’est souvent abordé dans le débat médiatique que sous l’angle des dépenses publiques, qui seraient trop élevées. Or, il est également fondamental de considérer les recettes. L’exemple de la France montre que des centaines de milliards d’euros ne rentrent pas dans les caisses – et creusent le déficit public – à cause de réformes fiscales favorables aux plus riches ou aux grandes entreprises, de niches fiscales ou de manque de moyens investis dans la lutte contre la fraude fiscale :

1) Des choix fiscaux qui mettent de moins en moins les riches et les grandes entreprises à contribution, poussant ainsi à l’endettement public. Plusieurs réformes fiscales menées au cours des mandats de François Hollande et d’Emmanuel Macron ont privé l’État de ressources essentielles. Entre 2014 et fin 2023, la dette publique française a augmenté de 1 115,3 milliards d’euros, passant de 1 985,9 milliards d’euros à 3 101,2 milliards d’euros. Sur l’ensemble de cette hausse, 454,12 milliards d’euros – soit environ 40% de la dette supplémentaire accumulée sur la période 2014 -2023 – sont imputables aux baisses d’impôt [11] concédées aux entreprises et majoritairement aux plus riches [12]. En effet, plusieurs réformes fiscales, comme le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) de François Hollande, et sa transformation en allègement pérenne de cotisations sociales par Emmanuel Macron, sont officiellement menées pour favoriser l’emploi en réduisant la « charge fiscale qui pèse sur les entreprises ». C’est ce discours qu’on entend régulièrement à la télévision : si les entreprises, et notamment les grandes entreprises, sont moins taxées, elles embaucheront plus et tout le monde sera gagnant. Or, quand on réduit effectivement la taxation de ces grandes entreprises, cela fait moins de recettes fiscales, plus de dividendes pour les actionnaires de ces entreprises, et souvent très peu de création d’emplois [13]. L’argent libéré qui pourrait être utilisé pour créer de l’emploi pèse très peu face à la pression mise par les actionnaires pour licencier et multiplier leurs dividendes [14].

Si les réformes fiscales qui ont eu lieu depuis 2013 n’avaient pas été menées, la dette publique française représenterait aujourd’hui 93,82% du PIB au lieu de 109,9% du PIB [15]. Des réformes fiscales, en grande majorité à l’avantage des plus riches et des grandes entreprises, ont donc été compensées par de la dette publique. La même dette publique qui est mobilisée sur les plateaux de télévision pour justifier de nouvelles coupes budgétaires.

2) Le manque de moyens dédiés à la lutte contre la fraude fiscale. En France, la fraude fiscale est évaluée entre 80 et 100 milliards d’euros par an. Ce sont des montants très élevés : trois années de fraude fiscale représentent l’équivalent d’une année de recette de l’État. Dans l’Union européenne, l’évasion fiscale est estimée à 1 000 milliards d’euros chaque année [16]. Si les montants évadés avaient été imposés en France entre 1980 et 2013, le stock de la dette Stock de la dette Montant total des dettes. publique n’aurait été que de 70% du PIB contre 94% fin 2013 [17]. De plus, l’État se prive toujours davantage de ces ressources fiscales en réduisant les moyens des administrations fiscales et douanières [18]. De l’autre côté, les cabinets d’avocats et de consultants qui organisent l’évasion fiscale se renforcent [19]. Deloitte, PwC, EY et KPMG emploient plus d’un million de personnes dans 180 pays [20]. Ils organisent l’évasion fiscale des plus riches tout en conseillant les administrations publiques qui paient des millions pour cela.
 
3) Les niches fiscales – avantages fiscaux accordés à certains contribuables – représentent également un manque à gagner de recettes publiques qui creuse la dette. En France, en 2023, ces niches représentaient près de 100 milliards d’euros de recettes en moins pour l’État [21]. Certaines de ces niches sont clairement à l’avantage des grandes entreprises, comme le Crédit impôt recherche, une réduction d’impôt calculée sur la base des dépenses en recherche et développement des entreprises. D’autres sont utiles, telles que les réductions d’impôts sur les dons aux associations ou sur les travaux de rénovation. En France, en 2011, le rapport du Comité d’évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales avait évalué le coût des dépenses fiscales et des niches sociales inutiles ou non efficientes à un montant compris entre 15 et 65,4 milliards d’euros annuels [22].

Les mesures néolibérales n’ont pas permis de réduire la dette. Des dépenses publiques illégitimes se sont creusées : le sauvetage des grands actionnaires des banques après les crises financières de 2007-2008, les dépenses publiques mobilisées pendant la pandémie de Covid-19 sans mettre les profiteurs de crise à contribution, les intérêts versés aux banques privées et aux acteurs des marchés financiers. Du côté des recettes, rien n’a été fait pour s’attaquer aux niches fiscales inutiles et à la fraude fiscale. Au contraire, une multitude de réformes fiscales à l’avantage des plus riches et des grandes entreprises ont été décidées. Elles ont réduit les ressources publiques sans réellement créer des emplois.

En France, on estime les dépenses inutiles et les pertes de recettes – et donc la charge d’intérêts supplémentaires qu’elles provoquent en générant de l’endettement supplémentaire [23] – à un montant compris entre 112,2 et 242,6 milliards [24] d’euros par an [25]. Or, en 2024, le déficit public s’est élevé à 169,6 milliards d’euros. Mettre fin à la fraude fiscale, aux niches fiscales et sociales inutiles, aux cadeaux faits aux riches et aux grandes entreprises (exemples : non-majoration de la taxe sur les transactions financières, etc) permettrait donc de combler le déficit public et de résorber petit à petit la dette publique. Nul besoin de se serrer la ceinture, d’austérité, ou de recettes néolibérales.

 L’État s’affaiblit, la démocratie aussi

Il faut mettre fin à l’appauvrissement de l’État par l’austérité. Au fil des coups de massue néolibéraux, les pouvoirs publics se privent de vecteurs de revenus futurs. Par exemple, lorsqu’ils privatisent une entreprise publique, cela leur rapporte sur le moment, mais leur fait souvent perdre en ressources publiques à long terme. De plus, les pouvoirs publics se privent de ses moyens d’action Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
sur l’économie, de son pouvoir de relance. Il se prive de revenus fiscaux qui vont dans les caisses de l’État lorsque l’activité économique se porte bien. Quand c’est le cas, l’État touche davantage de TVA, davantage d’impôts sur le revenu, sur les entreprises, etc. Finalement, les États font des cadeaux fiscaux aux grandes entreprises avec comme justification fallacieuse que cela leur permettra de créer des emplois. Les grandes entreprises utilisent ces cadeaux pour verser toujours plus de dividendes à leurs actionnaires au lieu d’augmenter leurs investissements productifs et d’engager du personnel.

Ainsi, pour rembourser la dette publique, les pouvoirs publics renoncent à assumer leurs devoirs envers la population. Bien sûr, les démocraties représentatives sont très loin d’être authentiques, mais il n’en reste pas moins que les gouvernements sont des émanations (déformées) du vote de la population, ce qui n’est pas le cas des entreprises privées. Plus ils perdent en compétence et en pouvoir par rapport au secteur privé, plus la démocratie représentative s’affaiblit. De l’autre côté, le secteur privé – principalement les plus riches et les grandes entreprises – se frotte les mains en accumulant toujours plus de profits et de dividendes avec l’aide des gouvernements.

Graphique 1 : Hausse de la richesse privée vs baisse de la richesse publique dans les pays du Nord, de 1970 à 2020 [26]

 À qui profite la dette publique ?

La dette publique, qui continue d’augmenter, est une source de richesse privée. Elle procure un placement sûr aux investisseurs, car les États remboursent quasiment toujours leurs dettes.

Ce placement rapporte des intérêts payés par les États aux fonds d’investissement Fonds d’investissement Les fonds d’investissement (private equity) ont pour objectif d’investir dans des sociétés qu’ils ont sélectionnées selon certains critères. Ils sont le plus souvent spécialisés suivant l’objectif de leur intervention : fonds de capital-risque, fonds de capital développement, fonds de LBO (voir infra) qui correspondent à des stades différents de maturité de l’entreprise. , compagnies d’assurance, banques et donc aux personnes qui placent leur argent en masse dans ces structures. Plus la dette publique est élevée, plus le transfert d’argent – via le paiement d’intérêts – de l’État, des contribuables, vers les banques et les acteurs des marchés financiers est important.

Des alternatives existent, comme financer des dépenses publiques en taxant les plus riches, les grandes entreprises, en empruntant à 0% auprès de sa Banque centrale. Le CADTM milite pour que les États empruntent à du 0% (non-indexé sur l’inflation Inflation Hausse cumulative de l’ensemble des prix (par exemple, une hausse du prix du pétrole, entraînant à terme un réajustement des salaires à la hausse, puis la hausse d’autres prix, etc.). L’inflation implique une perte de valeur de l’argent puisqu’au fil du temps, il faut un montant supérieur pour se procurer une marchandise donnée. Les politiques néolibérales cherchent en priorité à combattre l’inflation pour cette raison. ) auprès des plus riches, et à du 3% au-dessus de l’inflation auprès des classes populaires pour assurer une redistribution via l’endettement public. Plus ces alternatives seront développées, plus fort sera le transfert d’argent des plus riches et des grandes entreprises vers la population. C’est le cas lorsque l’État finance un service public accessible à toustes (hôpital, par exemple) en taxant le capital. Les alternatives seront développées plus en profondeur dans une quatrième partie.


Notes

[2Pour en savoir plus, lire Éric Toussaint, Capitulation entre adultes, 2020, Syllepse.

[4Ibid.

[5Ibid.

[6En résumé, une crise de la dette privée (les banques européennes et étasuniennes ont prêté à outrance, notamment dans le secteur immobilier, sans regarder la solvabilité des clientes) provoquée par les banques étasuniennes, s’est étendue à toute l’Europe. Elle s’est répandue à cause de la financiarisation de l’économie qui rend les grandes banques interdépendantes car elles se vendent tous types de produits financiers entre elles. Cette crise de la dette privée est devenue une crise de la dette publique car les États sont intervenus pour voler au secours des banques.

[7Pierre Gottiniaux, Daniel Munevar, Antonio Sanabria, Éric Toussaint, Les chiffres de la dette 2015, CADTM, 2015, p.70, https://www.cadtm.org/Les-chiffres-de-la-dette-2015,271.

[8Ibid.

[9Source : INSEE et CADTM France, op.cit.

[10Le refinancement d’une dette signifie qu’un État s’endette pour rembourser une dette antérieure au moment où elle arrive à échéance. C’est très souvent le cas au vu des énormes montants à rembourser lorsqu’un prêt arrive à échéance. C’est aussi ce qu’on appelle «  faire rouler sa dette  ».

[11De ces résultats ont été déduites les recettes publiques supplémentaires liées à ces baisses d’impôt. Citons la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, la baisse du taux nominal de l’impôt sur les sociétés, a baisse des impôts dits «  de production  », la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales, le CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi), la transformation du CICE en allègement pérenne de cotisations sociales etc. Pour une analyse détaillée des pertes de recettes en France pendant les quinquennats d’Emmanuel Macron et de François Hollande, voir ATTAC France, CADTM, Observatoire de la justice fiscale, «  La dette de l’injustice fiscale  », Comment la diminution des recettes publiques et les cadeaux fiscaux ont creusé la dette  ?  », mars 2025, https://france.attac.org/nos-publications/notes-et-rapports/article/rapport-la-dette-de-l-injustice-fiscale.

[12ATTAC , CADTM, Observatoire de la justice sociale, «  La dette de l’injustice fiscale : Comment la diminuation des recettes publiques et les cadeaux fiscaux ont creusé la dette  ?  », Mars 2025, https://france.attac.org/nos-publications/notes-et-rapports/article/rapport-la-dette-de-l-injustice-fiscale, p.24.

[13Par exemple, le rapport «  La dette de l’injustice fiscale : Comment la diminuation des recettes publiques et les cadeaux fiscaux ont creusé la dette  ?  » nous explique, page 15, que «  Le CICE a été transformé en 2019 en une baisse de 10 points des cotisations (assurance chômage et retraite complémentaire). Cette réforme a été présentée comme favorisant l’emploi ce qui, par suite, pourrait provoquer une hausse des recettes sociales et fiscales (TVA voire impôt sur le reve- nu). Les études menées sur le sujet ex-post n’indiquent cependant rien de tel. Le comité de suivi et d’évaluation de la loi PACTE de France Stratégie relève ainsi que deux études publiées sur la transformation du CICE en allègement de cotisations sociales aboutissent à un effet nul voire légèrement négatif sur le produit intérieur brut (PIB).  »

[14«  Cahier de revendications communes : Sur la dette et la nécessité d’un réel contrôle citoyen sur la finance au niveau européen  », mars 2020, p.54.

[15Ibid.

[16Ibid, p.66.

[17Ibid.

[18Ibid, p.25, et Rapport Attac-Union syndicale Solidaires, «  Fraude fiscale, sociale, aux prestations sociales, ne pas se tromper de cible  », mars 2022.

[19«  Cahier de revendications communes : Sur la dette et la nécessité d’un réel contrôle citoyen sur la finance au niveau européen  », mars 2020, p.54.

[20Ibid, p.68.

[21Ibid, p.54.

[22Rapport du Comité d’évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales, juin 2011, p.22.

[23Dans son estimation, le CADTM France a retenu un emprunt d’une durée de 8 ans et demi (la durée moyenne de la dette française en 2024) à un taux d’intérêt de 2,92 % (le taux moyen pondéré sur les émissions de dette d’État à moyen et long terme depuis le début de l’année 2024).

[24Ces estimations ne prennent pas en compte la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés (passé de 50% en 1985 à 25% depuis 2022). Elles ne prennent pas en compte la pratique de taux d’intérêt excessifs par les banques, ni l’impact des crises économiques et financières provoquées par les acteurs privées (par exemple, la crise des subprimes de 2008, ou les surcoûts occasionnés par les emprunts toxiques dans la dette des collectivités et des hôpitaux. Voir CADTM France, op.cit. p.7.

[25CADTM France, op.cit. pp.6-7. Pour voir le détail de ce calcul, voir le tableau page 6. Les sources sont les suivantes : L’estimation basse retient les dépenses fiscales et les niches sociales jugées inutiles par le Rapport du Comité d’évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales de juin 2011, l’estimation haute y ajoute les dépenses fiscales et les niches sociales jugées non efficientes par ce même rapport (p. 22). • Les montants de la fraude et de l’évasion fiscales sont issus du rapport du syndicat Solidaires Finances Publiques, «  La fraude nuit gravement...  » de novembre 2019 (pp. 1, 10, 16, 18, 25), et du rapport de l’Assem- blée nationale «  Gestion des finances publiques : lutte contre l’évasion fiscale  » du 14 novembre 2023 (p. 48). • L’estimation du coût de la fraude sociale est issu du rapport du Haut conseil de financement de la protection sociale, «  Lutte contre la fraude sociale. État des lieux et enjeux  » de juillet 2024 (pp. 14, 77-78). • Le coût budgétaire du remplacement de l’impôt sur la fortune (ISF) par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) serait de 4,5 milliards d’euros pour l’année 2023 selon le Rapport du Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital (pp. 213-214) et s’élèverait à 8 Md € si l’on retient le chiffrage de la note d’Attac du 30 avril 2020, «  Rétablir et rénover l’impôt de solidarité sur la fortune  ». • La perte de recettes fiscales liée à la mise en place du prélèvement forfaitaire unique (PFU appelé aussi «  flat-tax  ») chiffrée à 1,5 Md € par Bercy est estimée dans sa fourchette haute à 20 Md € par Gabriel Zucman (cf. le détail des calculs mis à jour le 26 octobre 2017 suite à sa tribune, «  La “flat tax” est une bombe à retardement pour les finances publiques  », publiée dans Le Monde du 25 octobre 2017). • Le manque à gagner lié à la non-majoration du taux de la taxe sur les transactions financières est calculé en déduisant de la simulation d’Attac de 10,8 Md € le 1,5 Md € encaissé au titre de 2022 (Notes d’Attac du 14 juin 2023, «  Taxe sur les transactions financières : une mesure plus que jamais d’actualité  »). Voir également sur ces questions les estimations de l’étude réalisée par les Économistes atterrés (Les Économistes atterrés, É. Berr, L. Charles, A. Jatteau, J. Marie, A. Pellegris, La dette publique. Précis d’économie citoyenne, Paris, Points Économie, 2024, pp. 172-185).

[26Lucas Chancel, Thomas Picketty, Emmanuel Saez, Gabriel Zucman, op.cit. p.77.