[ITW Vidéo] RDC : Entre faux allègements de dettes, exploitation et pillage des ressources

18 janvier 2018 par Victor Nzuzi , Chiara Filoni , Rémi Vilain


En 2001, la République démocratique du Congo (RDC) est rentrée dans l’initiative Pays pauvres très endettés (PPTE) et en 2005 dans l’Initiative d’allègement de la dette multilatérale (IADM) [1] conçues par la Banque mondiale et le FMI dans le but d’alléger le remboursement de la dette qui empêchait le développement de son économie. En 2010, le pays a atteint le soi-disant « point d’achèvement » au prix de mesures néolibérales oppressantes qui piétinent les droits de la population congolaise déjà éprouvée par des décennies de colonisation, d’ajustement structurel, de dictatures...



Selon Victor Nzuzi, avec la réalisation du point d’achèvement de l’initiative PPTE PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.

Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.

Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.

Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.

Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.

Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
et IADM, en 2010, il n’y a pas eu de véritable amélioration des conditions de vie des citoyen-ne-s de la République démocratique du Congo (RDC) car une partie de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
reste toujours à rembourser et les conditions d’annulation de la partie restante ont pour ainsi dire pris toute notre économie en otage. Sur un total de 14 milliards de dollars de dette, à peu près 11 milliards ont été annulés. Comme pour tout pays ayant « bénéficié de cette faveur » du FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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et de la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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(BM), les deux institutions ont imposé la libéralisation de toute l’économie (du secteur minier à l’énergie en passant par l’agriculture) au détriment de la population.

Les conditions de vie en RDC ne se sont clairement pas améliorées au cours du temps : l’éducation, la santé, les routes, tout est dans un état catastrophique.


Pour atteindre la croissance économique le Document de stratégie de croissance et de réduction de la pauvreté [2] prévoit la réalisation d’Inga III, d’un Plan national d’investissement agricole...

INGA III sera construit sur le même site que Inga I et II qui ont déjà fortement endetté le pays [3]. Le nouveau programme Inga III prévoit un nouveau barrage 4800 mégawatts qui exploitera le fleuve Congo pour alimenter les industries en Afrique du Sud et la RDC. Mais Inga III est juste le premier d’une série de projets hydroélectriques connus collectivement sous le nom de Grand Inga qui alimenterait également les industries en Afrique du Nord, au Nigeria (pour l’Afrique de l ’Ouest), en Somalie, en Éthiopie (pour atteindre l’Est du continent) et qui arriverait jusqu’au Moyen-Orient. C’est ce qu’on appelle les autoroutes de l’énergie (une première autoroute vers l’Afrique du Sud, une deuxième en Afrique du Nord via le Sahara, la troisième vers le Nigeria et la quatrième vers le Moyen Orient).

Pour ce qui est d’Inga III, le projet sera géré par des entreprises privées étrangères [4] et coûtera, dit-on, au moins 8 milliards de dollars. Or, on sait déjà que les coûts seront beaucoup plus élevés et qu’ils atteindront facilement les 14 milliards de dollars [5]. Pour pouvoir réaliser ce projet ambitieux, les entreprises privées n’auront d’autre choix que de s’endetter… et l’État congolais devra s’en porter garant. Cela voudra dire que si ces entreprises n’arrivent pas à payer c’est le peuple congolais qui payera la facture.

De plus, la répartition de l’électricité produite est prévue de la manière suivante : 2500 mégawatts vers l’Afrique du Sud, 1500 mégawatts desserviront les entreprises minières du Katanga et seulement moins de 1000 mégawatts seront distribués et vendus à la population congolaise via la SNEL (Société Nationale d’Électricité). Le document du projet stipule également qu’en cas de déficit énergétique (par exemple un étiage prolongé du fleuve Congo dû aux changements climatiques), la RDC ne recevrait que 600 mégawatts.

Pour finir, le traité d’Inga III avec l’Afrique du Sud stipule que le non-respect des engagements en terme de fourniture d’électricité (2500 mégawatts) justifierait le déploiement de moyens militaires par l’Afrique du Sud en RDC et ce, en guise de dédommagement !


Ces projets ne vont ni apporter de la croissance ni résoudre les problèmes d’approvisionnement en électricité. Au contraire, derrière tout cela se cache le dépouillement du Congo, de toutes ses matières premières et une nouvelle dette illégitime qu’on devrait refuser de payer !

Le Plan national d’investissement agricole (PNIA) a été conçu par les bailleurs de fonds pour intervenir dans le secteur de l’agriculture de la RDC. Le projet prévoit d’utiliser uniquement des semences commerciales certifiées et en ligne avec l’Organisation mondiale du commerce OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.

L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».

Site : www.wto.org
(OMC). Ces semences industrielles répondent aux normes de l’agro-industrie et mettent en danger la biodiversité, le patrimoine naturel du pays et les traditions semencières des paysan-ne-s.

Mais il y a d’autres projets pilotes qu’ils sont en train d’imposer au Congo : les parcs agro-industriels. Il en existe déjà un à Kinshasa de 80000 hectares et le projet dans son entièreté prévoit d’en créer 22 au total. L’État congolais est prêt à verser la somme de 80 millions aux investisseurs pour l’exploitation des terres. Plus grave encore, 11000 personnes seront obligées de se déplacer pour leur permettre d’exploiter les terres de cette zone. Et peut-être beaucoup plus vu qu’on prévoit d’en construire un autre au Kivu, la région la plus peuplée et riche de la RDC.

Pour finir, des pesticides (comme le glyphosate fabriqué par Monsanto et fortement nocif pour la santé humaine) ont été utilisés pour nettoyer la zone tout en pulvérisant les autres herbes et les cultures de paysan-ne-s qui habitent près du parc.

Le troisième axe de cette réforme est la création de la zone spéciale économique de libre échange, c’est-à-dire un paradis fiscal Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.

La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
pour les entreprises étrangères avec le prétexte – aussi vieux que la nuit des temps – de la création de l’emploi. La fameuse création d’emplois ne s’est jamais vérifiée aussi à cause de la mécanisation de l’agriculture (par ailleurs la même chose s’est passée en Europe avec la perte de milliers d’emplois dans les zones rurales). Les institutions financières internationales disent qu’il faut industrialiser l’agriculture de la RDC : mais qu’en sera-t-il des 70 % de la population qui vivent de l’agriculture ? Quelles solutions lorsque ces personnes perdront leur travail et leur souveraineté alimentaire ?


À propos de résistances et d’alternatives

Beaucoup d’occupations de terres en ce moment se font sur les terrains anciennement possédés par l’entreprise belge, Gilles van Lancker, ou par le Centre de recherche agronomique ou encore dans les parcs naturels, malgré la répression terrible et parfois mortelle. Il s’agit d’occupations des terres exactement comme on l’a vu au Brésil grâce au mouvement Sem Terra (MST).

La population congolaise paye un coût trop élevé à cause du pillage des ressources naturelles et du dogme de la croissance à tout prix qui ne font qu’enrichir les grands intérêts privés étrangers et des élites locales avec la complicité des créanciers.

L’exploitation de l’or, du mercure et d’autres minerais par les puissances occidentales provoque des dégâts énormes, à la fois sur l’environnement et la santé de la population congolaise. Les grands projets d’infrastructures comme Inga I, II et III et la libéralisation de l’économie au nom d’une dette largement illégitime et odieuse, ne font qu’endetter encore plus la population qui continue de payer pour des politiques économiquement nocives et antisociales servant les intérêts d’une minorité.

Voilà pourquoi non seulement une annulation totale de la dette du pays mais aussi des réparations doivent être exigées !


Merci à Najla Mulhondi pour sa relecture


Notes

[1Cette dernière concernant exclusivement les créances dues à l’IDA, le FMI et le Fonds africain de développement)

[2Il s’agit de documents opérationnels élaborés par les gouvernements du Sud et les institutions de Bretton Woods. En RDC le premier de ces DSCRP a été introduit en 2006 pour accompagner l’Initiative PPTE. En général les DSCRP désignent les objectifs et les orientations des politiques macroéconomiques pour le pays sous tutelle de la BM et du FMI dans le but de se conformer aux Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). En fait, ces documents poursuivent et approfondissent la politique d’ajustement structurel en cherchant à obtenir une légitimation de celle-ci par l’assentiment des acteurs sociaux.

[3Ces deux projets constituent à eux seuls près de la moitié de la dette congolaise. Néanmoins, moins de 9 % de la population congolaise a aujourd’hui accès à l’électricité.

[4Il s’agit de la compagnie chinoise « Three gorges corporation » et de l’entreprise espagnole BTP avec à sa tête l’entreprise ACS

[5Pour plus d’infos sur le projet lire le rapport par Tim Jones : Endetté et à l’aveuglette : Analyse économique du projet d’Inga 3 en RDC, juin 2017, International rivers. Disponible en ligne : https://www.internationalrivers.org/fr/resources/endett%C3%A9-et-%C3%A0-l%E2%80%99aveuglette-analyse-%C3%A9conomique-du-projet-d%E2%80%99inga-3-en-rdc-16497

Victor Nzuzi

NAD UNIKIN Kinshasa RDCongo

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