Maroc, Algérie, Tunisie : Les transferts de richesses se poursuivent discrètement

13 juin 2005 par Eric Toussaint , Olivier Bonfond




Crise de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
et ajustement structurel

Quand la crise de la dette a éclaté début des années 80, les économies maghrébines se sont retrouvées sous la coupe du FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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et, à l’instar de la majorité des pays du Tiers Monde, ont dû appliquer les politiques néolibérales prônées par le consensus de Washington. Austérité budgétaire (réduction des dépenses d’éducation), privatisations massives et ouverture de l’économie aux « investisseurs étrangers » seront au cœur de ces programmes d’ajustement structurel.

Toutes ces mesures, censées résoudre la crise, ont été appliquées avec une violence extrême et ont entraîné la destruction progressive du tissu économique et social. Les soulèvements populaires et la répression qui s’en est suivie se sont multipliés dans la région : en 1984 en Tunisie, suite au doublement du prix du pain et de la semoule, de graves émeutes dans le sud du pays ont été réprimées au prix de plusieurs dizaines de morts. A Fès en 1990, la répression de violentes manifestations de protestation contre l’application du plan d’ajustement structurel Plan d'ajustement structurel En réaction à la crise de la dette, les pays riches ont confié au FMI et à la Banque mondiale la mission d’imposer une discipline financière stricte aux pays surendettés. Les programmes d’ajustement structurel ont pour but premier, selon le discours officiel, de rétablir les équilibres financiers. Pour y parvenir, le FMI et la Banque mondiale imposent l’ouverture de l’économie afin d’y attirer les capitaux. Le but pour les États du Sud qui appliquent les PAS est d’exporter plus et de dépenser moins, via deux séries de mesures. Les mesures de choc sont des mesures à effet immédiat : suppression des subventions aux biens et services de première nécessité, réduction des budgets sociaux et de la masse salariale de la fonction publique, dévaluation de la monnaie, taux d’intérêt élevés. Les mesures structurelles sont des réformes à plus long terme de l’économie : spécialisation dans quelques produits d’exportation (au détriment des cultures vivrières), libéralisation de l’économie via l’abandon du contrôle des mouvements de capitaux et la suppression du contrôle des changes, ouverture des marchés par la suppression des barrières douanières, privatisation des entreprises publiques, TVA généralisée et fiscalité préservant les revenus du capital. Les conséquences sont dramatiques pour les populations et les pays ayant appliqué ces programmes à la lettre connaissent à la fois des résultats économiques décevants et une misère galopante. a provoqué la mort d’une centaine d’étudiants.

La dette, un mécanisme de transfert de richesse du Sud vers le Nord

Plutôt que de diminuer comme le FMI l’avait promis, la dette extérieure publique totale de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie va quasiment doubler entre 1980 et 2002, passant de 32,5 à 53,4 milliards de dollars. Durant cette période, ces pays ont pourtant remboursé 213 milliards de dollars, soit 7 fois la dette qu’ils devaient en 1980 !

Depuis 1998, le Maghreb connaît un transfert net Transfert net On appellera transfert net sur la dette la différence entre les nouveaux prêts contractés par un pays ou une région et son service de la dette (remboursements annuels au titre de la dette - intérêts plus principal).

Le transfert financier net est positif quand le pays ou le continent concerné reçoit plus (en prêts) que ce qu’il rembourse. Il est négatif si les sommes remboursées sont supérieures aux sommes prêtées au pays ou au continent concerné.
négatif sur la dette, c’est-à-dire qu’il rembourse plus que ce qu’il ne reçoit en nouveaux prêts. Entre 1998 et 2002, ce transfert net équivaut à 32 milliards de dollars.

Par ailleurs, le Maghreb est un exportateur net de capitaux. En 2002, l’Aide Publique au Développement (APD APD On appelle aide publique au développement les dons ou les prêts consentis à des conditions financières privilégiées accordés par des organismes publics des pays industrialisés à des pays en développement. Il suffit donc qu’un prêt soit consenti à un taux inférieur à celui du marché pour qu’il soit considéré comme prêt concessionnel et donc comme une aide, même s’il est ensuite remboursé jusqu’au dernier centime par le pays bénéficiaire. Les prêts bilatéraux liés (qui obligent le pays bénéficiaire à acheter des produits ou des services au pays prêteur) et les annulations de dette font aussi partie de l’APD, ce qui est inadmissible. ) en faveur du Maghreb s’élevait à 367 millions de dollars alors que le paiement du service de la dette Service de la dette Remboursements des intérêts et du capital emprunté. (intérêts plus capital) s’élevait à 9,3 milliards de dollars et les rapatriement des profits des multinationales à 1,1 milliard de dollars.

Tous ces chiffres montrent de manière évidente que, contrairement à ce que l’on tend à croire, ce n’est pas le Nord qui aide le Sud, mais bien l’inverse. Chaque année, le Maghreb transfère des sommes considérables aux pays riches et aux institutions multilatérales.

Face à cette hémorragie silencieuse de ressources, le système de l’endettement maintient les économies de la région sous perfusion et donc, sous contrôle.

L’annulation de la dette au cœur des revendications sociales

A l’heure actuelle, les gouvernements de la région, en particulier ceux du Maroc et de l’Algérie, se vantent de l’amélioration de leurs indicateurs économiques externes (solvabilité, réserves de change...). Mais les conditions de vie des populations se détériorent (en Algérie, 40 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, la moitié de la population n’a pas accès aux soins de santé de base et le chômage atteint 29 % [1]), les privatisations se poursuivent, les ressources naturelles s’épuisent et une part importante des revenus de la vente de ces ressources repart directement vers le Nord au titre du remboursement d’une dette économiquement injuste, socialement et écologiquement insoutenable.

Les politiques néolibérales appliquées de manière fidèle depuis maintenant plus de 20 ans par les gouvernements du Maghreb, ont été destructrices d’un point de vue social et humain et ont participé activement à l’exacerbation des violences et conflits sociaux de l’ensemble de la région. Les gouvernements du Nord, le FMI, mais aussi les classes dominantes du Sud ont une grande responsabilité dans l’aggravation de cette crise. Alors que les violations des droits humains se poursuivent, l’Algérie, le Maroc et la Tunisie se voient régulièrement félicités par le FMI pour leur bonne gestion et leur bonne pratique !

Il est essentiel de mettre à l’ordre du jour la question de l’annulation de la dette et de l’arrêt des politiques d’ajustement structurel. Dans cette optique, le premier Forum social méditerranéen qui se tient du 16 au 19 juin à Barcelone, constitue un moment important de discussion sur ce sujet. Le poids de la dette et la néo-colonisation économique dans les pays du sud de la Méditerranée seront analysés en profondeur. Il s’agira aussi et surtout de réfléchir et débattre ensemble afin de définir des stratégies et des actions Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
de luttes communes.

Par Olivier Bonfond, économiste et chercheur au CADTM Belgique et Eric Toussaint, politologue, président du CADTM Belgique.


Notes

[1Source : voir Comité Justice pour l’Algérie, dossier n°14 : « Algérie : économie, prédation et Etat policier » par Omar Benderra et Ghazi Hidouci, mai 2004

Eric Toussaint

Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.

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Olivier Bonfond

est économiste et conseiller au CEPAG (Centre d’Éducation populaire André Genot). Militant altermondialiste, membre du CADTM, de la plateforme d’audit citoyen de la dette en Belgique (ACiDe) et de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015.
Il est l’auteur du livre Et si on arrêtait de payer ? 10 questions / réponses sur la dette publique belge et les alternatives à l’austérité (Aden, 2012) et Il faut tuer TINA. 200 propositions pour rompre avec le fatalisme et changer le monde (Le Cerisier, fev 2017).

Il est également coordinateur du site Bonnes nouvelles

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