« Les grandes puissances se rendent compte que l’on peut promouvoir des régimes d’apparence démocratique qui mènent les mêmes politiques néolibérales que des dictateurs… »
Porte-parole du Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde (CADTM), Damien Millet s’est intéressé de près à l’Afrique. Il a notamment publié « l’Afrique sans dette » (éditions CADTM-Syllepse, 2005). Il livre à l’ « HD » son analyse sur les liens entre entreprises, gouvernement français et pouvoirs dictatoriaux. Ou quand l’économie ne souffre d’aucun principe démocratique ni du respect des droits de l’homme.
HD. Bernard Kouchner, dans le rapport rédigé pour Total sur la présence de ce groupe en Birmanie, affirmait que l’implantation d’entreprises françaises dans les régimes dictatoriaux favorisait la diffusion des droits de l’homme. Pensez-vous que ce soit le cas ?
D.M. Pas du tout. Pendant la guerre froide, l’objectif fondamental était de soutenir les alliés du bloc de l’Ouest contre ceux de l’Est. Ainsi, les Etats-Unis ont favorisé le renversement d’Allende pour imposer ce laboratoire de l’ultralibéralisme qu’a été le Chili de Pinochet. Les gouvernements français et les entreprises ont soutenu le Togo d’Eyadema, la Tunisie de Ben Ali, le Zaïre de Mobutu et tant d’autres régimes dictatoriaux. Peu importe que ces dictateurs pillent leur pays, piétinent les droits de l’homme et détournent des fortunes colossales. Ils ont été soutenus pour permettre aux entreprises de faire des affaires et pour favoriser nos intérêts géopolitiques. Après la chute du mur de Berlin, rien n’a vraiment changé : la priorité pour les grandes puissances reste l’application du néolibéralisme, l’ouverture des marchés à leurs entreprises et la docilité des dirigeants du Sud afin qu’ils suivent leurs recommandations et votent selon leurs vœux dans les instances internationales.
HD. Les populations en tirent-elles profit ?
D.M. Elles sont les grandes perdantes. Dans la plupart des pays du Sud, l’arrivée d’entreprises occidentales a lieu dans le cadre du « consensus de Washington » et des « ajustements structurels » du FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
Cliquez pour plus de détails.
, qui s’accompagnent de l’abandon des subventions aux produits de première nécessité, d’une libéralisation forcenée et d’une réduction drastique des budgets sociaux. Ces pays ont dû ouvrir les secteurs profitables, comme les télécoms ou l’énergie, en privatisant la plupart des entreprises publiques pour une bouchée de pain, mais en gardant la justice et l’armée afin que règne l’ordre pour continuer les affaires dans un climat sain. Pour les populations du sud, le cercle est infernal ; elles se saignent pour rembourser la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
, leurs richesses sont pillées, leurs conditions de vie se dégradent alors que les créanciers et les proches du pouvoir en place s’enrichissent.
HD. Et aujourd’hui ?
D.M. Sous pression de l’opinion publique, certains excès n’ont plus été tolérés. On s’est rendu compte que l’on pouvait promouvoir certains régimes d’apparence démocratique qui mèneraient les mêmes politiques néolibérales que des dictateurs. Les grandes entreprises ont continué d’investir sans entrave, de rafler des parts de marchés et de faire des profits ramenés vers la maison mère sans payer d’impôt. Cependant, on ferme les yeux sur le déroulement des élections, on impose un semblant de démocratie du moment que les gouvernements continuent de servir nos intérêts. L’arrivée de grandes entreprises n’améliore pas la situation des droits de l’homme. Elles disent d’ailleurs ne pas faire de politique, alors que la logique néolibérale qu’elles défendent accroît corruption, dette et pauvreté au Sud. La situation des droits de l’homme est le parent pauvre de la politique étrangère. On ne pourra trouver une solution juste et durable sans remettre en cause les fondements même du modèle économique qui a conduit le monde dans cette impasse.
Entretien réalisé par Fabien Perrier pour « l’Humanité dimanche »
HD n° 246 du 27 janvier au 2 février 2011
professeur de mathématiques en classes préparatoires scientifiques à Orléans, porte-parole du CADTM France (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde), auteur de L’Afrique sans dette (CADTM-Syllepse, 2005), co-auteur avec Frédéric Chauvreau des bandes dessinées Dette odieuse (CADTM-Syllepse, 2006) et Le système Dette (CADTM-Syllepse, 2009), co-auteur avec Eric Toussaint du livre Les tsunamis de la dette (CADTM-Syllepse, 2005), co-auteur avec François Mauger de La Jamaïque dans l’étau du FMI (L’esprit frappeur, 2004).
Toutes les créances doivent être honorées, sauf...
Dette publique, un siècle de bras de fer22 avril 2020, par Eric Toussaint , Damien Millet , Renaud Lambert
15 août 2018, par Eric Toussaint , Damien Millet
26 juin 2018, par Eric Toussaint , Damien Millet
26 février 2018, par Eric Toussaint , Damien Millet
29 septembre 2016, par Eric Toussaint , Damien Millet
7 juin 2015, par Eric Toussaint , Damien Millet , Rémi Vilain
23 juin 2014, par Damien Millet , Marie Duhamel
19 septembre 2012, par Eric Toussaint , Damien Millet
15 juillet 2012, par Damien Millet , Patrick Saurin
5 juillet 2012, par Damien Millet , Angélique Schaller
29 août 2018, par Fabien Perrier
17 avril 2018, par Fabien Perrier
18 octobre 2017, par Fabien Perrier
29 septembre 2017, par Fabien Perrier
14 mars 2017, par Fabien Perrier
25 janvier 2016, par Fabien Perrier
16 septembre 2015, par Fabien Perrier
8 septembre 2015, par Fabien Perrier
3 avril 2015, par Fabien Perrier
4 février 2015, par Fabien Perrier , George Katrougalos
0 | 10