Mise en perspective historique

La Banque mondiale et la crise de la dette du Tiers Monde

1er mars 2002 par Eric Toussaint


Dès le début des années 1970, McNamara considérait que le rythme de croissance de l’endettement du Tiers Monde constituait un problème. Il déclarait : «  A la fin de 1972, la dette s’élevait à 75 milliards de dollars et le service annuel de la dette dépassait 7 milliards de dollars. Le service de la dette a augmenté de 18% en 1970 et de 20% en 1971. Le taux moyen d’augmentation de la dette depuis la décennie de 1960 a représenté presque le double du taux de croissance des revenus d’exportation avec lesquels les pays endettés doivent assurer ce service de la dette. Cette situation ne peut continuer indéfiniment » (McNamara, 1973, p. 94).



Pourtant la Bm Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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qu’il présidait a maintenu la pression sur les pays de la Périphérie afin qu’ils accroissent leur endettement. Entre 1968 et 1981, les montants prêtés annuellement par la Bm ont constamment progressé passant de 2,7 milliards de dollars en 1968, année de l’accession de Mc Namara à la présidence de la Bm, à 8,7 milliards en 1978 et à 12,0 en 1981 à la veille de l’éclatement de la crise (Bello, 2000, p. 39). Par la politique qu’elle a mené, la Bm a contribué activement à créer les conditions qui ont débouché sur la crise de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
. L’augmentation du volume de la dette et de son service sans que les revenus d’exportations suivent au même rythme constituait une première cause possible de crise car les pays endettés remboursent leur dette extérieure avec leurs revenus d’exportation. L’augmentation des volumes exportés sans que la demande venant des pays les plus industrialisés progresse dans la même proportion représentait une deuxième cause possible de crise. Ces deux politiques devaient donc finir par générer une crise : la chute des prix des produits exportés par la Périphérie entraîne une chute de revenus qui débouche sur des difficultés de remboursement. Si on y ajoute le facteur qui allait tout déclenché : l’augmentation brutale des taux d’intérêt Taux d'intérêt Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
imposée à partir de la fin de l’année 1979 par la Réserve fédérale des États-Unis (les liens entre la Banque mondiale, la Réserve fédérale et le gouvernement des États-Unis sont étroits), la crise était inévitable.

Peut-on prétendre pour autant qu’il s’agit d’une sorte de complot ourdi par la Banque ? La réponse doit être nuancée. Qu’il y ait eu complot n’est pas démontré. Par contre, ce qui l’est, c’est que la Bm et les puissances qui la dominent - à commencer par le gouvernement des États-Unis - portent une part déterminante de responsabilité tant dans la succession d’évènements qui ont débouché sur la crise que dans l’utilisation de la crise afin d’augmenter la subordination des pays de la Périphérie à l’égard des pays capitalistes les plus industrialisés.

Reprenons, l’enchaînement des faits. L’augmentation des taux d’intérêt a provoqué l’éclatement de la crise en 1982 quand l’explosion des montants à rembourser par les débiteurs s’est combinée à une chute très forte de leurs revenus. Qui a pris la décision d’augmenter fortement les taux d’intérêt à partir de la fin de l’année 1979 ? La Réserve fédérale des États-Unis conjointement avec le Secrétariat aux finances. Pourquoi les pays de la Périphérie ont-ils été affectés par une chute de leurs revenus d’exportation ? Celle-ci a été produite par l’application des politiques de « tout à l’exportation » recommandées par la Bm et par les manœuvres des États-Unis contre le cartel des pays producteurs de pétrole, manœuvres qui visaient à diviser l’OPEP OPEP
Organisation des pays exportateurs de pétrole
En anglais, OPEC : Organization of the Petroleum Exporting Countries

En 2020, l’OPEP regroupe 13 pays producteurs de pétrole : Algérie, Angola, Arabie saoudite, Congo, Émirats arabes unis, Gabon, Guinée équatoriale, Irak, Iran, Koweït, Libye, Nigeria, Venezuela. Ces 13 pays représentent 40 % de la production de pétrole dans le monde et possèdent plus de 79 % des réserves connues. Créée en septembre 1960 et basée à Vienne (Autriche), l’OPEP est chargée de coordonner et d’unifier les politiques pétrolières de ses membres, dans le but de leur garantir des revenus stables. À cette fin, la production obéit en principe à un système de quota. Chaque pays, représenté par son ministre de l’Énergie et du Pétrole, se charge à tour de rôle de la gestion de l’organisation.

Afin de limiter leur production, l’OPEP est à l’initiative de la création de l’OPEP+, réunissant 10 autres pays producteurs dont 7 PED : Azerbaïdjan, Bahreïn, Brunei, Kazakhstan, Malaisie, Mexique, Oman, Russie, Soudan et Soudan du Sud.

Site : www.opec.org
de manière à faire baisser le prix du pétrole. Les directives qu’applique la Bm sont déterminées dans leur ligne générale par le Secrétariat d’État aux Finances du gouvernement des États-Unis, ce n’est un secret pour personne. La gabegie de certains États du Sud, les détournements de fonds auxquels les classes dominantes des pays de la Périphérie se livraient..., tout cela a bien existé (cela n’a pas changé) et les coupables devraient être poursuivis. Mais n’oublions pas que la Banque mondiale, le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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et les gouvernants des pays industrialisés ont fermé les yeux quand ils n’ont pas activement soutenu les régimes en question : il ne faut pas confondre les véritables causes de la crise. Celle-ci a été provoquée principalement par des décisions prises dans les pays créanciers.

Qu’est-il arrivé à la Banque quand la crise a éclaté ? La Banque mondiale a été incapable d’en mesurer l’ampleur et de proposer des politiques visant à protéger les intérêts des débiteurs mis devant le fait accompli de l’augmentation des taux d’intérêt. Pourtant, loin de voir diminuer son pouvoir, la Banque mondiale a vu grandir celui-ci de manière impressionnante. Manifestement, le gouvernement des États-Unis et ses collègues des autres grandes puissances capitalistes n’étaient pas mécontents du travail accompli par la Banque. Sinon, ils auraient limité son rôle. Ils ont au contraire renforcé les moyens de la Banque et du FMI pendant et après la crise. Il faut également ajouter que la Bm et le FMI ont amassé sous la forme de réserve des « bénéfices » sur le dos des pays endettés.

A partir de l’éclatement de la crise de la dette, la Bm et le FMI ont servi d’instruments de subordination accentuée des pays de la Périphérie à l’égard des pays du Centre. Pour ce faire, elles ont mis en place des politiques systématiques d’ouverture et de déréglementation des économies de la Périphérie (l’ajustement structurel) auxquelles les classes dominantes de la Périphérie ont été associées. Le bilan humain de l’ensemble de ces politiques est littéralement dramatique.

De tout cela, la Banque, le FMI, les gouvernements qui déterminent leur politique et ceux de la Périphérie qui s’en font les complices sont redevables devant les citoyens et citoyennes de la planète, à commencer par les populations qui souffrent quotidiennement de la crise de la dette.


Le raisonnement tenu par la Bm pour accroître l’endettement

Il est important de revenir en arrière et de résumer le discours qui a justifié le rôle actif Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
joué par la Bm dans le processus d’endettement des pays de la Périphérie entre 1968 et 1982.

Jusqu’en 1973, le discours de McNamara était, en substance, le suivant : les pays en voie de développement doivent être appuyés dans leurs efforts de croissance. Or l’aide publique au développement accordée par les pays développés est totalement insuffisante. De plus, malgré leur engagement à diminuer les mesures discriminatoires à l’encontre des produits exportés par les pays en développement, les pays développés les maintiennent (McNamara a d’ailleurs déploré publiquement à plusieurs reprises l’insuffisance de l’APD APD On appelle aide publique au développement les dons ou les prêts consentis à des conditions financières privilégiées accordés par des organismes publics des pays industrialisés à des pays en développement. Il suffit donc qu’un prêt soit consenti à un taux inférieur à celui du marché pour qu’il soit considéré comme prêt concessionnel et donc comme une aide, même s’il est ensuite remboursé jusqu’au dernier centime par le pays bénéficiaire. Les prêts bilatéraux liés (qui obligent le pays bénéficiaire à acheter des produits ou des services au pays prêteur) et les annulations de dette font aussi partie de l’APD, ce qui est inadmissible. et le protectionnisme du Nord, voir McNamara, 1973, p. 127). La Bm doit intervenir dans cette situation pour prêter des sommes de plus en plus importantes aux PVD pour qu’ils atteignent, malgré toutes les embûches, un rythme suffisant de croissance et des revenus suffisants pour rembourser leurs dettes. La Bm est donc engagée dans une course contre la montre pour octroyer un maximum de prêts de manière à suppléer à l’insuffisance de l’APD.

Le raisonnement de McNamara est de toute évidence en contradiction avec les affirmations de celui-ci concernant le danger d’un rythme de croissance de l’endettement supérieur à celui des revenus d’exportation (voir plus haut).

A partir de 1973, suite à l’augmentation du prix des produits pétroliers et d’autres matières premières, le raisonnement tenu par McNamara peut-être résumé de la manière suivante : en empruntant, les pays en voie de développement (PVD) vont pouvoir développer leurs infrastructures de communication, augmenter leur production d’énergie électrique, accroître leur production destinée à l’exportation. Prenant comme postulat que les prix des produits exportés par ces pays sur le marché mondial allaient augmenter ou, au pire, rester stables, leurs recettes d’exportation allaient donc croître grâce à l’augmentation des quantités exportées. Cela devait permettre aux PVD de payer le service de la dette Service de la dette Remboursements des intérêts et du capital emprunté. (intérêt et amortissement du principal) tout en réinvestissant une partie de leurs revenus d’exportation dans l’amélioration de leur industrie d’exportation. Cela devait avoir un effet cumulatif provoquant ou accélérant leur développement tout en les maintenant solidement dans le giron occidental. Pour McNamara, l’obligation Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
pour le pays débiteur de rembourser sa dette constituait un puissant stimulant matériel pour moderniser son agriculture et son industrie d’exportation. Il a répété ce raisonnement dans de multiples discours et écrits. Le cercle vertueux « endettement / augmentation des exportations / paiement du service de la dette » aboutirait au développement du Sud et à la croissance mondiale.

Ce raisonnement a été contredit par la réalité car, comme nous l’avons montré, les prix des produits exportés ont chuté de manière dramatique dans les années 1980 alors que les taux d’intérêt connaissaient eux une progression fulgurante. D’où la situation d’étranglement financier des pays endettés. McNamara quitte la présidence de la Bm en 1981, quelques mois avant que la crise n’éclate aux yeux de tous.


Aveuglement de la Bm

Bien que la crise de la dette ne soit apparue à l’opinion qu’en août 1982, les signes avant-coureurs de celle-ci ne manquaient pas. Des avertissements avaient été lancés. Or la Banque a sous-estimé de manière évidente les risques comme l’atteste son Rapport annuel sur le développement dans le monde 1981 : « Ces tendances indiquent qu’il sera plus difficile pour les pays en voie de développement de gérer leur dette, mais elles n’annoncent pas de problème généralisé, ce que confirment les projections de balance des paiements Balance des transactions courantes
Balance des paiements
La balance des paiements courants d’un pays est le résultat de ses transactions commerciales (c’est-à-dire des biens et services importés et exportés) et de ses échanges de revenus financiers avec l’étranger. En clair, la balance des paiements mesure la position financière d’un pays par rapport au reste du monde. Un pays disposant d’un excédent de ses paiements courants est un pays prêteur vis-à-vis du reste du monde. Inversement, si la balance d’un pays est déficitaire, ce pays aura tendance à se tourner vers les prêteurs internationaux afin d’emprunter pour équilibrer sa balance des paiements.
établies pour les années 1980 en fonction des scénarios probables (C’est nous qui soulignons, N.D.R.) »
.

Le Rapport 1982, quelques semaines avant l’explosion de la bombe mexicaine, affichait un optimisme encore plus aveugle (Edwards, 1995, p. 31). Quant au Rapport de 1983, la Bm y déclarait que les difficultés (dites de liquidités Liquidité
Liquidités
Capitaux dont une économie ou une entreprise peut disposer à un instant T. Un manque de liquidités peut conduire une entreprise à la liquidation et une économie à la récession.
) n’avaient touché que des pays particuliers plutôt que des régions ou des groupes entiers. Une trentaine de pays insolvables emboîtèrent pourtant le pas au Mexique. Le Rapport 1984 de la Bm contenait des projections optimistes qui prévoyaient une amélioration continue jusque 1990 du rapport entre les revenus d’exportation des pays d’Amérique latine et le service de la dette extérieure. C’est exactement le contraire qui est arrivé (Edwards, 1995, p. 96). Durant plusieurs années, la Banque continua à s’accrocher à l’illusion d’un problème passager de liquidités pour expliquer la crise de la dette au lieu de reconnaître que les débiteurs étaient insolvables : ils n’avaient pas seulement un problème de liquidités, ils vivaient une crise authentique, structurelle et durable.

En 1986, alors que la dette des PVD avait déjà largement dépassé le cap des mille milliards de dollars, la Banque annonça qu’au milieu des années 1990, cette dette se chiffrerait au pire à 864 milliards de dollars. Or, en 1995, elle s’élevait à 1 940 milliards de dollars, soit plus du double de l’estimation citée.

Le FMI a commis exactement les mêmes erreurs de pronostic. Dans son rapport semestriel Economic World Outlook publié en avril 1982, le FMI prévoyait que, malgré certains problèmes de paiement, l’Amérique latine recevrait d’importants prêts de la communauté financière internationale. Dans son rapport d’octobre 1982, le FMI diagnostiquait que la récession Récession Croissance négative de l’activité économique dans un pays ou une branche pendant au moins deux trimestres consécutifs. serait évitée. Dans ses rapports de 1984, le FMI estimait, comme la Bm, que le ratio entre le service de la dette et les revenus d’exportations s’améliorerait pour l’Amérique latine. Le contraire de la réalité.


Prévisions erronées concernant les prix sur le marché mondial

Les prévisions de la Banque sont aussi hasardeuses, fausses pour tout dire, en ce qui concerne les revenus d’exportation censés venir à la rescousse de l’endettement. Les prédictions de 1981 sur les prix des matières premières en Afrique pour 1990 comprennent un taux d’erreur de 62 % pour les minéraux/métaux, de 156 % pour le pétrole, de 180 % pour les graisses et huiles, de 103 % pour les boissons, de 60 % pour les bois d’œuvre, de 97 % pour les produits agricoles non alimentaires (George et Sabelli, 1994, p. 100-101). Or la Banque pouvait parfaitement prévoir que les pays du Sud s’efforçant tous en même temps d’exporter un maximum pour faire face à leurs obligations de remboursement, les prix des produits exportés baisseraient.

Le FMI n’a pas fait mieux que la Banque. Dans son rapport sur les Pays les Moins Avancés rédigé en 2000 par la CNUCED Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement
CNUCED
Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. Elle a été créée en 1964, sous la pression des pays en voie de développement pour faire contrepoids au GATT. Depuis les années 1980, elle est progressivement rentrée dans le rang en se conformant de plus en plus à l’orientation dominante dans des institutions comme la Banque mondiale et le FMI.
Site web : http://www.unctad.org
(CNUCED, PMA Pays moins avancés
PMA
Notion définie par l’ONU en fonction des critères suivants : faible revenu par habitant, faiblesse des ressources humaines et économie peu diversifiée. En 2020, la liste comprenait 47 pays, les derniers pays admis étant le Timor oriental et le Soudan du Sud. Elle n’en comptait que 26 il y a 40 ans.
, 2000, p. 70), on mentionne une étude interne du FMI selon laquelle celui-ci a négocié avec la Zambie en 1983 un accord fondé sur une hypothèse complètement fantaisiste. Selon l’accord proposé par le FMI, le prix du cuivre exporté par la Zambie devait augmenter de 45 % en quatre ans. Cela devait permettre à ce pays de réussir à rembourser ses créanciers. En réalité, le prix du cuivre a baissé d’environ 12%, si bien que ce pays moins avancé d’Afrique s’est retrouvé avec un fardeau de dette encore plus lourd qu’avant l’accord avec le FMI (Brooks, R. et al. -1998- External debt histories of ten low-icome developping countries : lessons from their experience, FMI, document de base, WP/98/72, Washington DC).

En 1991, la Bm récidive dans l’erreur. Son département de l’économie internationale continue à établir des projections optimistes qui, en deux ans à peine, se révélèrent également totalement irréalistes. Les cours réels étaient dramatiquement plus bas : l’écart était de 47 % pour le café, de 56 % pour le cacao, 74 % pour le sucre, 35 % pour le caoutchouc, 52 % pour le plomb, etc.

Pour la décennie des années 1990, les responsables des prévisions prétendaient que la tendance des prix des matières premières serait à la hausse et que le produit national brut PNB
Produit national brut
Le PNB traduit la richesse produite par une nation, par opposition à un territoire donné. Il comprend les revenus des citoyens de cette nation vivant à l’étranger.
des pays en développement croîtrait de plus de 5 % par an entre 1992 et 2002. En réalité, c’est la tendance exactement inverse qui s’est manifestée en ce qui concerne les matières premières (diminution de 30 % entre 1996 et 1999, -IMF, Annual Report 2000, p. 11). Quant au taux de croissance du PNB des pays en développement, il a été de 3,2 % en 1998 et de 3,8 % en 1999 (IMF, Annual Report 2000, p. 12).


Banque mondiale : instrument de pompage des ressources des pays du Sud

Des dirigeants de la Bm ont calculé ce que rapportaient les sommes déposées à la Bm par les pays industrialisés comme participation au capital. Les documents officiels de la Bm sont muets à ce propos mais on trouve, dans les revues spécialisées destinées aux patrons, une indication précise de l’avantage retiré. L’extrait du discours suivant se passe de commentaire : il a été prononcé en 1986 par Jacques de Groote, directeur exécutif de la Belgique au FMI et à la Bm, devant un parterre de chefs d’entreprise de Belgique et publié dans le Bulletin de la Fédération des Entreprises de Belgique. « Les avantages que la Belgique retire, comme tous les pays membres de la Banque mondiale, de sa participation aux activités des institutions du groupe, peuvent être mesurés par le flow back, c’est-à-dire le rapport entre, d’une part, le total des déboursements effectués par l’IDA (Association internationale de développement) ou la Banque mondiale en faveur des entreprises d’un pays à l’occasion des contrats obtenus par ces entreprises et, d’autre part, les contributions de ce pays au capital de la Banque, ainsi qu’aux ressources de l’IDA. Le flow back, c’est donc un rapport entre ce qu’obtiennent les entreprises pour des ventes d’équipement ou des services de consulting et ce que la Belgique apporte comme contribution aux ressources de l’IDA et au capital de la Banque. Le flow back de la Banque mondiale vers les pays industrialisés est important et n’a cessé de s’accroître : il a progressé pour l’ensemble des pays industrialisés de 7 à 10 entre la fin de 1980 et la fin de 1984. C’est-à-dire que pour un dollar mis dans le système, les pays industrialisés en retiraient 7 en 1980 et 10,5 aujourd’hui » (FEB, 1986, p. 496-497).

Chris Adams, chercheur associé aux recherches de Focus on the Global South (Bangkok) a analysé la politique de prêts de la Banque Asiatique de Développement qui, tout comme la Banque africaine de développement et la Banque Interamericaine de Développement, est associée à la Banque mondiale. Parmi les principaux actionnaires (lesdits « donateurs ») de la Banque Asiatique de Développement (ADB), on trouve, le Japon, les États-Unis, l’Allemagne, le Canada, l’Australie, la Grande Bretagne, l’Italie, la France... Selon Chris Adams, « la plupart des pays donateurs reçoivent plus d’argent de l’ADB sous forme de contrats décrochés par leurs entreprises que ce qu’ils fournissent comme contribution totale à la banque » (Adams C., 2000, p. 27).


Rapport Wapenhans (1992) et Commission Meltzer (2000) sur les échecs de la Bm...

Ces prêts donnent-ils au moins des résultats satisfaisants ? En février 1992, Willi Wapenhans, vice-président de la Banque, réalisait un rapport confidentiel d’évaluation des projets financés par la Banque (près de 1 300 projets en cours dans 113 pays). Les conclusions étaient alarmantes : 37,5 % des projets étaient estimés insatisfaisants au terme de leur réalisation (contre 15 % en 1981), 22 % seulement des engagements financiers étant conformes aux directives de la Banque. Quant à la commission du Congrès des États-Unis qui, sous la direction d’Alan Meltzer, a présenté en février 2000 un rapport sur la Banque mondiale et le FMI, elle considérait que 65 à 70% des projets de la Banque dans les pays les plus pauvres échouaient (55 à 60% d’échec dans l’ensemble des pays en développement).


... qui ne l’empêchent pas de faire des bénéfices

Comme le notait déjà Mc Namara, la Banque n’est pas une œuvre de philanthropie. Bien qu’elle n’aime pas qu’on attire l’attention là-dessus, la Bm réalise bon an mal an plus de 1 500 millions de dollars de boni qu’elle ajoute à ses réserves. D’où provient ce boni si ce n’est des transferts opérés à son profit par les peuples de la Périphérie via le remboursement de la dette.


1994-2001 : succession de crises

1994 : deuxième crise mexicaine (faisant suite à celle de 1982) entraînant celle de l’Argentine ; 1997 : crise en Asie du Sud-Est et de l’Est ; 1998 : crise de la Russie ; fin 1998 - début 1999 : crise du Brésil ; fin 2000 - début 2001 : crise de l’Argentine et de la Turquie... A chaque fois, la Bm a été incapable de noter que des crises allaient éclater. Au moment où la Thaïlande et les trois autres « tigres » asiatiques commençaient à être ébranlés, la Bm déclarait dans son rapport 1997 sur l’endettement dans le monde : « L’endettement demeure sain. Bien que la croissance de la dette globale dépasse la croissance des exportations, le rapport entre le stock de la dette Stock de la dette Montant total des dettes. et les exportations se maintient à un niveau modéré : 99 % en 1996, bien plus bas que le rapport moyen des pays à moyens ou faibles revenus qui s’élevait à 146 % » (Banque mondiale, 1997, p. 160).

Pourtant, une analyse sérieuse des chiffres fournis par la Banque elle-même, dans le même document, aurait dû aboutir à une autre conclusion : on pouvait découvrir que la dette du secteur privé avait réalisé un bond puissant en 1996 et ce, sans que cette dette soit aucunement garantie. On pouvait lire également que la dette à court terme (avec un taux d’intérêt élevé) avait monté en flèche. On pouvait encore constater l’augmentation du flux d’investissements de portefeuille particulièrement volatils.

Après l’éclatement de la crise, la Bm propose comme médication les remèdes qui ont coûté tant de souffrances humaines et qui ont amené les gouvernements des pays de la Périphérie à abandonner progressivement des instruments centraux de la souveraineté nationale.


A partir de 1996 : l’initiative pour la réduction des dettes des PPTE PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.

Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.

Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.

Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.

Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.

Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.

De plus, la Bm et le FMI ont lancé en 1996 un programme d’allégement de la dette des pays les plus pauvres les plus endettés (ils sont 41 Pays Pauvres Très Endettés - PPTE, HIPC en anglais, sur un total de plus de 180 pays de la Périphérie). Ce programme a bénéficié d’un large appui médiatique. Il s’agit de rendre « soutenable » le paiement du service de la dette des quarante et un pays éventuellement concernés. Nulle générosité ne présidait à ce choix opéré par les créanciers. Il s’agissait d’un calcul froid visant à maintenir les flux de remboursement. C’est dans ce cadre que le G7 G7 Groupe informel réunissant : Allemagne, Canada, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon. Leurs chefs d’État se réunissent chaque année généralement fin juin, début juillet. Le G7 s’est réuni la première fois en 1975 à l’initiative du président français, Valéry Giscard d’Estaing. , le FMI et la Bm firent la promesse d’une annulation de 80 % de la dette des PPTE. C’était au Sommet du G7 tenu à Lyon (France) en juin 1996. Trois années plus tard, à un autre sommet du G7 tenu en juin 1999 à Cologne (Allemagne), ils annonçaient un allégement encore plus important allant jusqu’à 90 % de la dette. Ce dernier chiffre a été lancé sous la pression de la campagne mondiale pour l’annulation de la dette des pays les plus pauvres, connue comme campagne Jubilé 2000.

Selon le PNUD PNUD
Programme des Nations unies pour le développement
Créé en 1965 et basé à New York, le PNUD est le principal organe d’assistance technique de l’ONU. Il aide - sans restriction politique - les pays en développement à se doter de services administratifs et techniques de base, forme des cadres, cherche à répondre à certains besoins essentiels des populations, prend l’initiative de programmes de coopération régionale, et coordonne, en principe, les activités sur place de l’ensemble des programmes opérationnels des Nations unies. Le PNUD s’appuie généralement sur un savoir-faire et des techniques occidentales, mais parmi son contingent d’experts, un tiers est originaire du Tiers-Monde. Le PNUD publie annuellement un Rapport sur le développement humain qui classe notamment les pays selon l’Indicateur de développement humain (IDH).
Site :
, la somme que la Bm et le FMI envisagent de réunir est inférieure au coût d’un seul exemplaire du nouvel avion bombardier US, appelé furtif. Pour prendre un autre élément de comparaison, elle équivaut environ au coût de la construction d’Euro-Disney dans la région parisienne (PNUD, 1997, p. 103). En cinq ans (1996-2000), les fonds réellement placés par le FMI dans le pot commun (fonds fiduciaire, trust fund en anglais) qui sert à financer les allégements de dette sont inférieurs à la somme nécessaire pour payer ses 2 300 fonctionnaires durant la seule année 2000. Autre élément de comparaison, la somme dépensée par le FMI en cinq ans pour financer l’allégement de la dette des 41 PPTE représente moins de 2% de la somme qu’il a engagée dans le sauvetage des créanciers des pays du Sud-Est asiatique, du Brésil, de la Russie et de l’Argentine pendant la même période. Quant à la somme décaissée par la Banque mondiale, elle est inférieure à son bénéfice annuel qui est de l’ordre de 1 500 millions de dollars. Encore faut-il tenir compte du fait que ce qui est décaissé par la Bm et le FMI leur revient ensuite sous forme de remboursement car ces deux instituions ne renoncent jamais à une créance. Les différentes mesures d’allégement n’apportent aucune solution valable aux problèmes d’endettement et d’austérité drastique auxquels sont soumis les budgets sociaux des pays endettés.

Les deux objectifs réellement poursuivis par la Bm et le FMI consistent premièrement à s’assurer de la capacité des pays endettés à payer de manière permanente un loyer pour l’argent emprunté ; deuxièmement, à maintenir sous leur coupe les pays concernés. Depuis le début en 1996 de l’initiative en faveur des pays en question, le stock de leurs dettes a augmenté de 10 milliards de dollars passant de 205 milliards de dollars en 1996 à 215 milliards de dollars en 2001 (Source : FMI, World Economic Outlook, www.imf.org). Plus grave : en 1999, les PPTE ont payé en remboursement 1.645 millions de dollars de plus que ce qu’ils ont reçu sous forme de nouveaux prêts (Source : World Bank, Global Development Finance, 2001). Entre 1996 et 1999, selon la Banque mondiale, le service de la dette des PPTE pris globalement a augmenté de 25 % (passant de 8.860 millions de dollars en 1996 à 11.440 en 1999 -source WB, GDF, 1999 et 2000). Malgré le scandale que représente l’initiative PPTE, celle-ci a rencontré un succès réel auprès de certaines ONG du Nord, du Sud, des gouvernements du Sud concernés et des médias (Toussaint, 2001b ; Guttal, 2000 in Focus on the Global South 2000).


Crise de légitimité sans précédent

Depuis 1997 - 1998, la Bm et le FMI traversent la plus grande crise de légitimité de leur histoire. D’innombrables manifestations d’opposition à leur égard se sont déroulées tant dans les pays soumis à leur politique que dans les pays les plus industrialisés. A partir de 1999, chacune de leurs rencontres annuelles (l’une en avril, l’autre en septembre) a fait l’objet de contre-manifestations puissantes et radicales. Les deux institutions connaissent aussi une crise interne : démission en 1999 - 2000 de Joseph Stiglitz, économiste en chef et vice-président de la Banque mondiale et de Ravi Kanbur, directeur du Rapport annuel de la Banque mondiale sur le développement dans le monde. Stiglitz et Kanbur étaient des éléments réformateurs au sein de la Bm. Enfin, aux États-Unis, les deux institutions sont soumises à une critique très dure de la part de la majorité des congressistes républicains et d’une partie des démocrates. Les travaux de la commission du Congrès des États-Unis dirigée par le républicain Meltzer et à laquelle a participé Jeffrey Sachs pour le compte des démocrates ont révélé que, loin de donner la priorité aux pays les plus pauvres, elles consacraient 80% de leurs opérations aux pays de la Périphérie ayant déjà accès aux marchés financiers Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
.


Tentative de reprendre l’offensive avec la stratégie de réduction de la pauvreté

Pour tenter de contrecarrer les effets de leur crise de légitimité tout en maintenant le cap sur l’approfondissement des mesures néolibérales, les institutions de Bretton Woods ont pris à partir de septembre 1999 une nouvelle initiative qu’elles appellent la Stratégie de réduction de la pauvreté. Elles demandent aux gouvernements des PPTE qui veulent obtenir un allégement de leurs dettes d’élaborer un Document de stratégie de réduction de la pauvreté Document de stratégie de réduction de la pauvreté
DSRP
(En anglais, Poverty Reduction Strategy Paper - PRSP)
Mis en œuvre par la Banque mondiale et le FMI à partir de 1999, le DSRP, officiellement destiné à combattre la pauvreté, est en fait la poursuite et l’approfondissement de la politique d’ajustement structurel en cherchant à obtenir une légitimation de celle-ci par l’assentiment des gouvernements et des acteurs sociaux. Parfois appelés Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté (CSLP).
À destination des pays retenus dans l’initiative PPTE, les DSRP poursuivent sous un autre nom l’application des Plans d’ajustement structurel.
(DSRP - voir lexique) à soumettre à (une partie de) la société civile de leur pays. Officiellement, il s’agit de donner un visage humain à l’ajustement structurel en augmentant les dépenses de santé et d’éducation en ce qui concerne les couches populaires et en réalisant des politiques ciblées vers les plus pauvres. Mais le document ne peut en aucun cas déroger à la poursuite de l’ajustement structurel : accélération des privatisations des services (eau, électricité, télécommunications, transports publics) ; privatisation ou fermeture des entreprises industrielles publiques quand elles existent ; suppression des subsides aux produits de base (pain ou autre aliment de base...) ; augmentation des impôts payés par les pauvres par la généralisation de la TVA (à un taux unique de 18 %, comme c’est le cas au sein de l’Union Économique et Monétaire de l’Ouest Africain) ; abandon des protections douanières (ce qui livre les producteurs locaux à la concurrence des multinationales) ; libéralisation des entrées et des sorties de capitaux (ce qui se traduit généralement par une sortie massive des capitaux) ; privatisation des terres ; politique de recouvrement des frais dans la santé et l’éducation.

L’acceptation de ces politiques par les PPTE constitue une condition sine qua non posée par le FMI, la Banque mondiale et le Club de Paris Club de Paris Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.

Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.

Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
en échange de futurs allégements de remboursement et de nouveaux crédits d’ajustement. Le FMI élargit à environ 90 le nombre de pays susceptibles de bénéficier de Facilités pour la réduction de la pauvreté et la croissance (FRPC Facilité pour la Réduction de la Pauvreté et la Croissance
FRPC
Facilité de crédit du FMI avalisée en 1999, accordée fin 2007 à 78 pays à faible revenu (dont le PIB par habitant 2003 est inférieur à 895 dollars). Elle comporte la notion de lutte contre la pauvreté, mais dans une stratégie économique globale toujours axée sur la croissance. Les autorités nationales sont alors chargées de rédiger un vaste document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), sorte de programme d’ajustement structurel avec une touche de social, en accord avec les institutions multilatérales. En cas d’éligibilité, le pays peut emprunter, dans le cadre d’un accord de trois ans, un montant variable suivant ses difficultés de balance des paiements et son passé envers le FMI, en général dans la limite de 140 % de sa quote-part au FMI. Le taux annuel est de 0,5 %, sur une durée de 10 ans, avec une période de grâce de cinq ans et demi.

En 2008, le FRPC est remplacé par la FEC (Facilité élargie de crédit). Elle est réservée aux pays à faible revenu (soit selon les données de la Banque mondiale de 2020, 29 pays ayant un PIB par habitant inférieur à 1 035 dollars). S’inscrivant dans la continuité du FRPC, la FEC accorde des prêts d’une durée de trois à cinq ans pouvant être renouvelés, dans la limite annuelle de 75 % de la quote-part, limite pouvant être dépassée selon les circonstances. L’échéance de remboursement est étalée sur une durée de 10 ans, dont une période de grâce de cinq ans et demi, avec un taux d’intérêt nul.

Source : https://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/ecff.htm
). Cette politique, pas plus que celles qui l’ont précédée, ne réussira à réduire réellement la pauvreté. Les pyromanes que sont les institutions de Bretton Woods allument de nouveaux incendies sociaux et attendent ensuite des ONG et des communautés locales qu’elles jouent le rôle de pompier.

La Banque mondiale est particulièrement offensive à l’égard des ONG et de certaines autorités locales. Elle a mis au point une stratégie d’intégration/ récupération via ce qu’elle appelle les « soft loans » (les prêts doux) destinés à favoriser le microcrédit (soutien en particulier aux ONG féminines), à soutenir des structures d’enseignement et de santé organisées à un niveau local. La Bm a créé un guichet de prêts et de dons pour soutenir les ONG. La Bm cible des administrations locales avec des prêts notamment pour des projets d’assainissement des eaux usées. La saine gestion des affaires publiques est devenue un de ses thèmes centraux au point qu’elle n’a pas hésité à citer en exemple en 2001 la bonne gestion de la ville de Porto Alegre grâce au système du budget participatif.

Cette stratégie offensive de la Bm pour courtiser la société civile et récupérer un espace de légitimité produit des résultats non négligeables. Une partie des ONG et des autorités locales est engagée dans un processus de collaboration avec la Bm.


Débats au sein du pouvoir aux États-Unis sur l’avenir de la Bm

La multiplication des crises est telle depuis 1994-1995 et la capacité du FMI et de la Bm d’y faire face a été si largement mise en doute qu’un débat parfois très âpres se déroule aux États-Unis autour du rôle futur des institutions de Brettons Woods. Différentes commissions de haut niveau ont travaillé sur le sujet : en 1994, la commission Bretton Woods présidée par Paul Volcker (ex-président de la Réserve fédérale) a envisagé la fusion possible du FMI et de la Bm pour conclure finalement que ce n’était pas opportun. En 1999-2000, une commission du Congrès présidée par Alan Meltzer , républicain, à laquelle les démocrates étaient associés a fourni un rapport plaidant pour une redéfinition du rôle de chacune des deux institutions financières internationales. Elle proposait que la Banque limite son activité aux pays les plus pauvres de la planète, ceux qui n’ont pas accès au marché des capitaux, le Fonds ciblant son activité sur les autres pays de la Périphérie. Les conclusions de la commission Meltzer ont été rejetées par l’Administration Clinton mais il est certain que la discussion est loin d’avoir abouti. Des bouleversements ne sont pas à exclure. On verra ce que l’Administration Bush qui a pris ses fonctions en 2001 prendra comme orientation. En juin 2001, elle a désigné au poste de numéro deux du FMI, en remplacement de Stanley Fischer, Anne Krueger qui s’est exprimée à plusieurs reprises de manière forte dans le camp des néolibéraux (à l’opposé des orientations de quelqu’un comme Joseph Stiglitz considéré comme keynésien).

Dans un travail publié en 1998, Anne Krueger souligne les différences entre les années 1970 et la fin des années 1990. Elle indique qu’au début des années 1970, les États-Unis ont décidé de donner une grande importance à la Bm et au FMI en réduisant leur aide bilatérale et en augmentant leur aide multilatérale (Krueger, 1998, p. 1987 et 1999). Depuis lors, la libéralisation sur le plan mondial a fortement réduit la marge de manœuvre de ces institutions car les flux de capitaux privés dominent. Par ailleurs, la guerre froide est terminée. Elle note : « Jusqu’à la fin de la guerre froide, le soutien politique à la réalisation d’une aide au développement via les IFI’s (Bm et FMI) et des agences bilatérales provenait de deux groupes : ceux de droite motivés par des problèmes de sécurité, et ceux de gauche qui soutenaient des objectifs de développement sur une base humanitaire. Avec la fin de la guerre froide, le soutien qui provenait de la droite s’est érodé et les efforts de la Banque pour étendre ses activités vers de nouveaux domaines peut refléter la recherche d’un soutien politique plus large » (Krueger, 1998, p. 2010). Elle écrit ce commentaire pour expliquer l’évolution de la Bm : « Beaucoup des accusations concernant l’inefficacité organisationnelle de la Banque peuvent trouver leur origine dans ses efforts pour étendre ses activités dans toutes les directions dans tous les pays. On peut effectivement considérer qu’en s’impliquant dans des questions d’environnement, en coopérant avec les ONG, en combattant la corruption et en embrassant d’autres sujets, la Banque est allée bien au-delà de ses compétences essentielles. En faisant cela, elle est allée au delà des capacités de sa direction » (op cit). Elle explique que la Banque veut continuer à toucher à tout alors qu’il faudrait plutôt faire un choix entre trois options : « 1) poursuivre son rôle d’institution chargée du développement, en se limitant aux pays réellement pauvres et en se retirant graduellement des pays à moyen revenu ; 2) poursuivre son activité dans tous les pays clients en se concentrant sur les » softs issues « du développement telle les droits des femmes, la préservation de l’environnement, l’encouragement des ONG ; 3) fermer la boutique » (Krueger, p. 2006). Dans l’étude en question, Krueger n’est pas pour la troisième option et elle laisse ouverte la discussion sur les deux premières. Mais elle précise qu’il faudra décider tôt ou tard. Manifestement, la question du développement n’est pas pour elle la question fondamentale. Au niveau du fonctionnement des institutions en question, elle est très claire : pas question de modifier leur constitution en instituant le système « un pays - une voix » (one-country one-vote). Une fusion entre Banque mondiale et FMI n’est pas exclue mais cela ouvrirait un processus dangereux car on devrait alors rediscuter d’une nouvelle constitution et donc de « one-country one-vote », ce qu’il faut selon elle éviter (Krueger, 1998, p. 2015). C’est une affaire qui doit rester aux mains des grandes puissances.


Conclusion

L’avenir de la Banque mondiale et du FMI est une question centrale pour les mouvements sociaux (il en va de même pour l’avenir d’autres grandes institutions internationales : OMC OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.

L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».

Site : www.wto.org
, CNUCED, ONU,...). Les enjeux sont colossaux. Les débats divisent tant ceux qui sont au pouvoir que les mouvements à la recherche d’alternatives. Pour trancher, il convient de déterminer quelles institutions internationales peuvent favoriser la satisfaction des droits humains fondamentaux en vertu de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels.


Extrait de « La Bourse ou la vie » (Syllepse, Paris, 3e édition 2002).

Eric Toussaint

Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.

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