8 février 2005 par Eric Toussaint , Damien Millet
Les 4 et 5 février, le sommet des ministres des Finances du G7
G7
Groupe informel réunissant : Allemagne, Canada, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon. Leurs chefs d’État se réunissent chaque année généralement fin juin, début juillet. Le G7 s’est réuni la première fois en 1975 à l’initiative du président français, Valéry Giscard d’Estaing.
s’est soldé par un échec qu’il a fallu dissimuler sous des déclarations vides de sens. Son communiqué final n’est qu’un pas de plus dans une direction qui a déjà révélé ses limites et ses insuffisances, bien loin du véritable enjeu de l’annulation totale de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
.
Le G7 vient d’annoncer des allégements de dette « au cas par cas » et « jusqu’à 100 % ». Alléger « jusqu’à 100 % » ne veut rien dire puisque tout pourcentage d’allégement est par principe inférieur à 100 %. Le choix de traiter les pays « au cas par cas » conduit à imposer des conditionnalités Conditionnalités Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt. dont le but principal est de réduire la portée d’une éventuelle annulation, ce qui n’est pas acceptable. Aucun processus visant à une véritable annulation n’est initié, aucun agenda dans ce sens n’est décidé. Tout s’est passé comme si les pays riches avaient cherché les quelques phrases susceptibles de recevoir leur signature tout en les engageant le moins possible. En réalité, ils devraient d’abord rendre des comptes sur les engagements passés qu’ils n’ont pas tenus.
Car pourquoi les croire aujourd’hui alors que depuis 1999, ils n’ont absolument pas tenu leurs promesses ? Pourtant, il y a 6 ans, MM. Blair, Brown, Chirac et Schröder étaient déjà présents quand nous leur avons remis plus de 17 millions de signatures en faveur de l’annulation de la dette des pays pauvres. Ce jour-là, le 19 juin 1999, le sommet du G7 de Cologne avait alors décidé de renforcer l’initiative pour 42 pays pauvres très endettés
PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.
Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.
Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.
Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.
Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.
Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
(PPTE) initiée en 1996. Affirmant qu’ils avaient compris le message envoyé par les nombreux signataires, ils avaient annoncé l’annulation de 90 % de la dette bilatérale [1] et multilatérale [2] de ces pays, soit 100 milliards de dollars [3]. Or les chiffres parlent d’eux mêmes : 6 ans plus tard, la dette globale des 42 PPTE n’a pas été réduite, au contraire. Selon l’OCDE
OCDE
Organisation de coopération et de développement économiques
Créée en 1960 et basée au Château de la Muette à Paris, l’OCDE regroupait en 2002 les quinze membres de l’Union européenne auxquels s’ajoutent la Suisse, la Norvège, l’Islande ; en Amérique du Nord, les USA et le Canada ; en Asie-Pacifique, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande. La Turquie est le seul PED à en faire partie depuis le début pour des raisons géostratégiques. Entre 1994 et 1996, deux autres pays du Tiers Monde ont fait leur entrée dans l’OCDE : le Mexique qui forme l’ALENA avec ses deux voisins du Nord ; la Corée du Sud. Depuis 1995 et 2000, se sont ajoutés quatre pays de l’ancien bloc soviétique : la République tchèque, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie. Puis d’autres adhésions se sont produites : en 2010, le Chili, l’Estonie, Israël et la Slovénie, en 2016 la Lettonie, en 2018 la Lituanie et, en 2020, la Colombie est devenue le trente-septième membre.
Site : www.oecd.org
(Organisation de coopération et de développement économiques), entre 1999 et fin 2002, la dette multilatérale des PPTE a augmenté de 10 milliards de dollars et la dette bilatérale à l’égard des pays les plus industrialisés a augmenté de près de 2 milliards [4]. Selon la CNUCED
Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement
CNUCED
Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. Elle a été créée en 1964, sous la pression des pays en voie de développement pour faire contrepoids au GATT. Depuis les années 1980, elle est progressivement rentrée dans le rang en se conformant de plus en plus à l’orientation dominante dans des institutions comme la Banque mondiale et le FMI.
Site web : http://www.unctad.org
(Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement), les pays concernés doivent rembourser 2,6 milliards de dollars en 2005, soit davantage qu’en 2003 (2,4 milliards de dollars) [5]. En fait, l’initiative PPTE visait avant tout à renforcer la mainmise des créanciers et la logique de l’ajustement structurel sur l’économie de ces pays : ouvrir toujours plus l’économie des PPTE aux exportations et aux intérêts des sociétés transnationales des pays riches ; privatiser la distribution d’eau, les télécoms, l’électricité, le peu d’industries publiques qui y existent ; rendre l’école et la santé payantes. Cette logique de soumission aux marchés financiers
Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
est toujours la même aujourd’hui.
Par ailleurs, les discussions du G7 de ce week-end ne portaient que sur la dette multilatérale des 42 PPTE, estimée à 80 milliards de dollars.
Rappelons que le stock d’or du FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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est évalué à 44 milliards de dollars au cours du marché, et que les réserves de la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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sont de l’ordre de 31 milliards de dollars. Si elles le voulaient vraiment, les institutions jumelles de Bretton Woods seraient parfaitement en mesure de financer elles-mêmes l’effacement de la dette multilatérale des 42 PPTE. Quant à la dette bilatérale des PPTE à l’égard des pays les plus industrialisés, elle s’élève à 30 milliards de dollars : c’est le coût
de 6 mois d’occupation de l’Irak, ou 5 % des dépenses militaires annuelles du G7. L’annulation totale et immédiate est donc une question de volonté politique. On mesure là la vacuité des annonces du G7.
La supercherie doit être dénoncée. Les dirigeants des pays du G7 ont un agenda caché : rester créanciers des 42 PPTE et du reste des pays en développement (165 au total) afin de continuer à leur dicter leur volonté néolibérale. Seuls quelques PPTE, les plus dociles ou ceux qui occupent une place géostratégique, continueront à recevoir au cas par cas des mesures significatives d’allégement de dette. Mais une chose est sûre : le G7 ne compte pas les libérer complètement du fardeau de la dette car cela reviendrait à leur redonner la possibilité d’entreprendre
des politiques économiques et sociales contraires au credo néolibéral.
Quant au reste des pays en développement (89 % des populations pauvres de la planète vivent en-dehors des PPTE), le G7 ne propose aucune mesure d’allégement, pas même pour les pays les plus affectés par les tsunamis du 26 décembre 2004 (à commencer par l’Indonésie et le Sri Lanka). Pour eux, le G7 ne propose qu’un ridicule moratoire
Moratoire
Situation dans laquelle une dette est gelée par le créancier, qui renonce à en exiger le paiement dans les délais convenus. Cependant, généralement durant la période de moratoire, les intérêts continuent de courir.
Un moratoire peut également être décidé par le débiteur, comme ce fut le cas de la Russie en 1998, de l’Argentine entre 2001 et 2005, de l’Équateur en 2008-2009. Dans certains cas, le pays obtient grâce au moratoire une réduction du stock de sa dette et une baisse des intérêts à payer.
d’une durée d’un an.
Le 1er février, à Porto Alegre, l’ensemble des campagnes internationales sur la dette, dont le CADTM, a demandé : « l’annulation immédiate et inconditionnelle de la dette extérieure illégitime des pays du Sud, en commençant par les pays victimes du tsunami et d’autres ayant souffert de désastres ces derniers mois ». Seul un changement radical de logique peut permettre de trouver une solution au problème de la dette. Aujourd’hui, à cause des échecs du G7, ce problème reste entier. Les gesticulations de M. Gordon Brown n’y changent rien.
Par Damien Millet, président du CADTM France, et Eric Toussaint, président du CADTM Belgique (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde). Ils sont auteurs du livre « 50 questions 50 réponses sur la dette, le FMI et la Banque mondiale », éd. Syllepse/CADTM, 2003.
[1] Contractée envers d’autres Etats.
[2] Contractée envers des institutions multilatérales, comme le Fonds monétaire international (FMI) ou la Banque mondiale.
[3] Au G7 de Naples tenu en juin 1994, les pays les plus riches avaient promis 67% d’annulation de dette ; au G7 de Lyon en juin 1996, ils s’étaient engagés à 80% d’annulation ; au G7 de Cologne en juin 1999, ils annonçaient 90% ; en juillet 2005 en Ecosse, ils annonceront certainement 100%.
[4] OCDE, Statistiques de la dette extérieure 1998-2002, Paris, 2004, p. 203.
[5] CNUCED, Le développement économique en Afrique. Endettement viable : Oasis ou mirage ?, Genève, 2004.
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
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professeur de mathématiques en classes préparatoires scientifiques à Orléans, porte-parole du CADTM France (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde), auteur de L’Afrique sans dette (CADTM-Syllepse, 2005), co-auteur avec Frédéric Chauvreau des bandes dessinées Dette odieuse (CADTM-Syllepse, 2006) et Le système Dette (CADTM-Syllepse, 2009), co-auteur avec Eric Toussaint du livre Les tsunamis de la dette (CADTM-Syllepse, 2005), co-auteur avec François Mauger de La Jamaïque dans l’étau du FMI (L’esprit frappeur, 2004).
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