15 février par Eric Toussaint
Photo : Kandukuru Nagarjun, Around the Maasai Mara. Nerok County, Kenya, June 2018, Wikimedia Commons, CC, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Chinese_construction_in_Africa_%2844121582612%29.jpg
La Chine est diabolisée par de nombreux·ses commentateur·ices : elle serait la principale créancière d’un grand nombre de pays du Sud et elle les exploiterait tandis que la Banque mondiale, le FMI, le Club de Paris, qui regroupent les puissances créancières traditionnelles, feraient de leur mieux pour venir en aide à ces pays qui ploient sous le fardeau d’une dette trop lourde.
De son côté, la Chine fait aussi de la propagande. Elle se présente comme l’alliée des pays du Sud, annonce régulièrement des annulations ou des allègements de dettes et affirme qu’elle n’impose pas de conditionnalités néolibérales comme le font le FMI et la Banque mondiale. Elle met également l’accent sur son efficacité. Voici la deuxième partie de cette analyse sous forme de questions/réponses.
La Chine prête par différentes institutions publiques [1] : ses banques publiques stratégiques (China Development Bank et China Eximbank), tout en augmentant son recours à la banque centrale
Banque centrale
La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale.
(People’s Bank of China) et aux banques commerciales
Banques commerciales
Banque commerciale
Banque commerciale ou banque de dépôt : Établissement de crédit effectuant des opérations de banque avec les particuliers, les entreprises et les collectivités publiques consistant à collecter des fonds pour les redistribuer sous forme de crédit ou pour effectuer à titre accessoire des opérations de placements. Les dépôts du public bénéficient d’une garantie de l’État. Une banque de dépôt (ou banque commerciale) se distingue d’une banque d’affaires qui fait essentiellement des opérations de marché. Pendant plusieurs décennies, suite au Glass Steagall Act adopté pendant l’administration Roosevelt et aux mesures équivalentes prises en Europe, il était interdit aux banques commerciales d’émettre des titres, des actions et tout autre instrument financier.
d’État (telles que Industrial and Commercial Bank of China, Bank of China et China Construction Bank). S’y ajoutent des prêts syndiqués. Dans le cadre des prêts syndiqués, les banques publiques chinoises prêtent conjointement avec des banques privées occidentales, par exemple la banque française BNP-Paribas ou la banque anglaise Standard Chartered Bank, et/ou avec la Société financière internationale (SFI) qui fait partie de la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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, ou encore avec la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) … [2]
À noter aussi que des entités publiques chinoises achètent des dettes des pays du Sud sur le marché secondaire via des fonds d’investissement Fonds d’investissement Les fonds d’investissement (private equity) ont pour objectif d’investir dans des sociétés qu’ils ont sélectionnées selon certains critères. Ils sont le plus souvent spécialisés suivant l’objectif de leur intervention : fonds de capital-risque, fonds de capital développement, fonds de LBO (voir infra) qui correspondent à des stades différents de maturité de l’entreprise. comme BlackRock, Pimco, AllianceBernstein, Fidelity lnvestments et Amundi Asset Management [3].
L’objectif de la Chine via ses prêts : Renforcer la capacité des pays africains récipiendaires des crédits chinois à exploiter leurs ressources naturelles et à les exporter sans les transformer ou très peu
Dans une première période la plupart des prêts chinois allaient vers des projets d’infrastructures : routes et autoroutes, ponts, aéroports, voies ferrées, ports de mer, barrages et centrales électriques hydrauliques, centrales électriques au charbon…
Selon un article de l’agence de presse officielle chinoise Xinhua publié le 7 février 2023 : « Depuis la création du Forum sur la coopération sino-africaine (FCSA) il y a 23 ans, les entreprises chinoises ont construit ou modernisé plus de 10.000km de voies ferrées, près de 100.000km de routes, environ 1.000 ponts et 100 ports, ainsi que plusieurs hôpitaux et écoles en Afrique. » Source : Xinhua, « Des faits clés sur la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
africaine que les États-Unis ignorent délibérément », 7/02/2023, https://french.news.cn/20230207/4d1e5c179b344ccb90307ddd72c28d3d/c.html
Il s’agit clairement de renforcer la capacité des pays africains récipiendaires des crédits chinois à exploiter leurs ressources naturelles et à les exporter sans les transformer ou très peu.
Il est frappant de constater que dans cet article de l’agence chinoise, ce qui est mis en avant ce sont les infrastructures liées au modèle extractiviste exportateur. L’article indique par exemple « 1000 ponts et 100 ports » tout en ajoutant « plusieurs hôpitaux et écoles ». La disproportion est évidente. On voit très clairement où se situent les priorités.
La construction d’hôpitaux, d’universités, d’usines de production de biens manufacturés n’est pas la priorité des investissements chinois
Dans le même article et dans la même veine, on trouve ce passage : « Lorsque de hauts responsables américains empruntent [après l’atterrissage de leur avion, note d’Éric T] une passerelle de débarquement en Afrique, ils se dirigent probablement vers un terminal construit par une entreprise chinoise. Et leurs voitures roulent également sur une route ou un pont construit par un constructeur chinois... On peut trouver des infrastructures modernes construites par la Chine presque partout sur le continent. ». L’agence chinoise n’a pas cru bon de mettre l’accent sur des laboratoires pharmaceutiques, ou des hôpitaux, des universités, des usines de production de biens manufacturés à haute valeur ajoutée construits par la Chine. Non pas que les crédits chinois excluent totalement ce type d’investissement, ce serait exagéré de l’affirmer, mais parce que ce n’est pas du tout une priorité. Ce type de réalisations est tout à fait minoritaire.
Ce qui vaut pour l’Afrique vaut aussi pour les pays d’Amérique latine et d’Asie. L’Afrique subsaharienne est considérée par les responsables de la politique chinoise comme un territoire dont on extrait des matières premières qu’on envoie sans les transformer vers la Chine ou d’autres pays consommateurs. Cela perpétue le rôle dévolu à l’Afrique dans l’économie mondiale par les puissances impérialistes traditionnelles : une source de matières premières à bon marché produites par une main d’œuvre très mal payée. La Chine reproduit le type de politique que les puissances capitalistes occidentales et des institutions comme la Banque mondiale et le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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Les taux chinois se situent dans le même ordre de grandeur que le FMI ou la Banque mondiale
Cela dépend. En tout cas, contrairement à ce qu’affirment plusieurs auteurs, les taux pratiqués par la Chine ne sont pas le double des taux portant sur les crédits accordés par le FMI et la Banque mondiale. Les taux des crédits accordés par le FMI varient entre au minimum 4 % et souvent 8 % à cause des surcharges imposées par celui-ci [4]. Les taux pratiqués par la Banque mondiale, exceptée sa branche de crédits concessionnels appelé IDA, avoisinent les 6 à 8 %. Les taux chinois se situent dans le même ordre de grandeur, même si une partie sont octroyés à un taux concessionnel d’un peu moins de 3 %. En comparaison des taux pratiqués par les prêteurs privés sur les marchés financiers
Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
pendant la dizaine d’années de quantitative easing, qui va de 2012 à 2022, les taux chinois étaient égaux ou un peu supérieurs. A partir de 2022, avec l’abandon par la Fed, la BCE
BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
et la Banque d’Angleterre de cette politique au profit du quantitative tightening, on a assisté à une très forte remontée des taux. La partie des crédits chinois octroyés à taux fixe est donc à des taux inférieurs à ceux du marché. Mais attention, une partie importante des prêts chinois est à taux variables et dans ce cas, ils suivent l’évolution prise par les taux dictés par les banques centrales occidentales (voir plus loin).
Il y a trois facteurs principaux qui rendent attractifs les crédits chinois :
Le temps d’exécution des projets financés à crédit par la Chine est nettement plus court que celui demandé par des projets financés par la Banque mondiale ou par les prêteurs du Club de Paris. Concrètement, une route, un pont, ou un aéroport financé à crédit par les Chinois sera réalisé dans un temps beaucoup plus court que le même type de projet financé par d’autres.
La Chine, en contrepartie des crédits qu’elle octroie, attend d’un gouvernement qu’il adopte, sur le plan des relations internationales, une politique favorable à la Chine, ou pour le moins non hostile à la Chine
Il est démontré que la Chine, en contrepartie des crédits qu’elle octroie, attend d’un gouvernement qu’il adopte, sur le plan des relations internationales, une politique favorable à la Chine, ou pour le moins non hostile à la Chine. La Chine, grâce à ses crédits, a convaincu une série de pays de ne plus reconnaître Taïwan comme un État indépendant, et a fait fermer l’ambassade de Taïwan sur leur territoire. C’est ainsi qu’en Afrique, seul l’Eswatini reconnait encore Taïwan. Selon AidData, plus un pays reçoit de crédits de la part de la Chine, plus il est susceptible de voter comme la Chine à l’Assemblée générale des Nations unies (voir notamment le rapport d’AidData déjà cité p. 29, et graphique 1.16, p. 31 https://docs.aiddata.org/reports/belt-and-road-reboot/Belt_and_Road_Reboot_Full_Report.pdf ). La Chine exerce manifestement du Soft Power grâce à sa politique de prêts.
Pendant tout une période, la Chine a recyclé ses énormes réserves en dollars en les utilisant sous forme de prêts à l’étranger, elle les a également utilisées pour acquérir des entreprises à l’étranger. Depuis 2013/2014, elle réduit l’octroi de prêts bilatéraux à long terme libellés en dollars à des emprunteurs souverains tout en augmentant l’octroi de prêts libellés en Renminbi (RMB)/Yuan, à court ou à moyen terme. C’est ce que montre le graphique 7.
Graphique 7 : Composition du portefeuille de prêts de la Chine par devises. Pourcentage des engagements de prêts du secteur public de la Chine (en USD constants de 2021) aux pays à faible revenu et aux pays à revenu intermédiaire.
Traduction du graphique : Early BRI : Première période des Nouvelles routes de la soie Late BRI : Deuxième période des Nouvelles routes de la soie RMB : Renminbi USD : Dollars US Other : Autres |
Notes : La catégorie « Autres » comprend toutes les autres devises, y compris l’euro, la livre sterling et les monnaies locales dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire.
Contrairement à la Banque mondiale, la Chine ne finance pas ses crédits en empruntant elle-même sur les marchés internationaux. Comme indiqué plus haut, elle puise dans une partie de ses réserves colossales en dollars pour octroyer des crédits. La Chine est par ailleurs créancière des États-Unis, elle détient officiellement un montant d’un peu de moins de 1 000 milliards de dollars sous forme de titres du trésor des États-Unis.
Et quand, comme c’est le plus souvent le cas, la Chine prête dans sa propre monnaie, elle n’éprouve aucune difficulté, il suffit qu’elle fasse fonctionner la planche à billets ou qu’elle ouvre une ligne de crédit.
Oui la Chine fournit une quantité importante de prêts d’urgence qui aident les pays endettés à poursuivre leurs remboursements à l’égard de la Chine et également à l’égard du FMI (voir plus loin concernant le FMI). C’est ce que montre le graphique 8.
Graphique 8 : Comparaison du portefeuille de prêts de la Chine par instrument financier. Pourcentage des prêts du secteur public de la Chine aux pays à revenu faible ou intermédiaire.
Traduction du graphique : Emergency lending : Prêts d’urgence Infrastructure projet lending : Prêts destinés à financer un projet d’infrastructure Early BRI : Première période des Nouvelles routes de la soie Late BRI : Deuxième période des Nouvelles routes de la soie Other : Autres |
En 2013, un an avant la première année de mise en œuvre à plein régime de la nouvelle route de la soie (Belt and Road Initiative, BRI), les prêts de sauvetage d’urgence ne représentaient que 5 % des prêts à l’étranger de la Chine aux pays à faible et à moyen revenu. En 2021, les prêts de sauvetage d’urgence représentaient 58 % des prêts chinois à l’égard de cette catégorie de pays. C’est ce que montre le graphique 8. La Banque populaire de Chine (PBOC) - la banque centrale chinoise - est de loin le principal bailleur de fonds des opérations internationales de prêts de sauvetage d’urgence, ce qui explique pourquoi elle a progressivement pris une place prépondérante dans le portefeuille de prêts de Pékin. En mars 2023, une équipe de chercheurs d’AidData, de la Banque mondiale, de la Harvard Kennedy School et de l’Institut de Kiel pour l’économie mondiale a publié une étude qui explique pourquoi Pékin a entrepris des opérations de prêts de sauvetage d’une valeur de près de 250 milliards de dollars dans 22 pays (Source : Horn, Sebastian, Bradley C. Parks, Carmen M. Reinhart, and Christoph Trebesch. 2023a. China as an International Lender of Last Resort. NBER Working Paper #31105. Cambridge, MA:NBER https://www.aiddata.org/publications/china-as-an-international-lender-of-last-resort).
Ils constatent que la plupart de ces opérations ont eu lieu dans des pays participant à l’initiative BRI et présentant des niveaux élevés d’encours de dette (projets d’infrastructure) auprès de banques et d’entreprises chinoises. Ils constatent également que les renflouements de Pékin sont destinés à des emprunteurs gouvernementaux en difficulté à des moments où leurs réserves de change sont faibles et leurs notations de crédit médiocres [5].
AidData estime que 80 % du portefeuille de prêts chinois à l’égard des pays en développement correspondent à des pays en difficulté financière
Selon le rapport d’AidData publié en novembre 2023, la Chine joue un rôle inconnu et inconfortable pour elle : celui de plus grand collecteur officiel de dettes au monde. 55 % de ses prêts aux pays à revenu faible ou intermédiaire sont déjà entrés dans leur période de remboursement du principal et ce chiffre passera à 75 % d’ici 2030. L’encours total de la dette – principal compris mais hors intérêts – des emprunteurs des pays en développement envers la Chine est d’au moins 1 100 milliards de dollars et potentiellement même jusqu’à 1 500 milliards de dollars (en dollars nominaux). Pékin trouve sa place en tant qu’organisme de recouvrement international de dettes à une époque où bon nombre de ses plus gros emprunteurs éprouvent de graves problèmes de liquidités
Liquidité
Liquidités
Capitaux dont une économie ou une entreprise peut disposer à un instant T. Un manque de liquidités peut conduire une entreprise à la liquidation et une économie à la récession.
ou sont insolvables. AidData estime que 80 % du portefeuille de prêts chinois à l’égard des pays en développement correspondent à des pays en difficulté financière. Les arriérés de remboursement envers la Chine montent en flèche – en termes absolus et en proportion du total des remboursements de prêts en retard de paiement envers les créanciers officiels (c’est-à-dire bilatéraux et multilatéraux).
Il s’agit pour la Chine d’offrir la possibilité d’avoir accès à une ligne de crédit en cas de besoin. Un exemple concret : l’Argentine. L’Argentine, qui a une dette de plus de 40 milliards de dollars auprès du FMI, et qui manque cruellement de réserves en dollars, recourt à la ligne de crédit avec la Chine pour lui emprunter une grande quantité de renminbi (RMB) de manière à pouvoir rembourser le Fonds monétaire international à temps. Cela est rendu possible parce que la monnaie chinoise est une des 5 monnaies dans lesquelles le FMI accepte d’être remboursé (dollars, euros, livres sterling, yen japonais, renminbi). Rappelons que lors de la crise bancaire et financière de 2007-2008, lorsqu’elle s’est étendue des États-Unis vers les grandes banques privées européennes, la Réserve fédérale des États-Unis (FED) a permis à la Banque centrale européenne d’utiliser un tel swap
Swap
Swaps
Vient d’un mot anglais qui signifie « échange ». Un swap est donc un échange entre deux parties. Dans le domaine financier, il s’agit d’un échange de flux financiers : par exemple, j’échange un taux d’intérêt à court terme contre un taux à long terme moyennant une rémunération. Les swaps permettent de transférer certains risques afin de les sortir du bilan de la banque ou des autres sociétés financières qui les utilisent. Ces produits dérivés sont très utilisés dans le montage de produits dits structurés.
pour se procurer des dollars et les fournir aux banques privées européennes qui, sinon, risquaient la banqueroute. Ce qui, en retour aurait provoqué d’autres banqueroutes de grandes banques aux États-Unis.
Au moins 17 pays ont utilisé les swaps proposés par les Chinois. C’est important mais attention, les crédits d’urgence accordés par le FMI sont plus volumineux que ceux de la Chine.
La Chine se comporte comme la plupart des créanciers et impose des clauses de confidentialité aux gouvernements et aux entités qui font appel à ses crédits. Alors qu’il y a une vingtaine d’années, certains contrats étaient publics, manifestement, la Chine exige dorénavant le secret à propos des conditions auxquelles ses crédits sont octroyés. Alors qu’il faudrait pouvoir exercer le droit à l’information afin que les citoyens et les citoyennes puissent se faire une opinion tant sur les termes du contrat que sur la pertinence et la qualité des projets et des politiques soutenues par les crédits chinois, le secret imposé par les prêteurs chinois constitue un obstacle que les mouvements sociaux et les élu·es doivent tenter de franchir. Cette politique de secret appliquée par la Chine n’est pas exceptionnelle car d’autres créanciers la pratique depuis longtemps. Néanmoins, cela ne doit en rien justifier les entraves mises au droit à l’audit.
Effectivement, au cours des 10 dernières années, la Chine a exigé des pouvoirs publics des pays qui recevaient des crédits qu’ils ouvrent un compte spécifique sur lequel ils doivent déposer l’équivalent d’une ou plusieurs échéances de remboursement. Dans certains cas, ce compte est alimenté par une partie de recettes procurées par le projet qui a été financé par la Chine. La Chine, en cas de retard de paiement, a le droit d’aller unilatéralement puiser dans ce compte pour se rembourser.
D’autres créanciers imposent les mêmes conditions mais il semble que la Chine ait recours à ce procédé beaucoup plus souvent.
L’auteur remercie Gilbert Achcar, Maxime Perriot et Claude Quémar pour la recherche de documents et la relecture.
[1] Il est possible que dans les 3 ou 4 dernières années quelques entreprises privées chinoises qui investissent à l’étranger aient octroyé des crédits mais c’est tout à fait marginal.
[2] Selon le rapport d’AidData publié en novembre 2023, la moitié du portefeuille de prêts non urgents de la Chine dans les pays à revenu faible ou intermédiaire est désormais accordé par le biais d’accords de prêts syndiqués – et plus de 80 % de ces accords impliquent des banques commerciales occidentales et des institutions multilatérales. Source : Point 3 de Executive Summary : Quelles mesures Pékin a-t-il prises pour réduire son exposition aux dettes en difficulté dans les pays en développement ? https://www.aiddata.org/publications/belt-and-road-reboot )
[3] Voir AidData, novembre 2023, chapitre 2 l’encadré sur SAFE « SAFE a ouvert un bureau sur la Cinquième Avenue à New York en 2013, et peu de temps après, il est devenu un secret de polichinelle parmi les plus grands gestionnaires d’actifs du monde - comme PIMCO et BlackRock - que SAFE était l’un de leurs clients confidentiels les plus importants. » “SAFE opened an office on Fifth Avenue in New York City in 2013, and shortly thereafter it became an open secret among the world’s largest asset managers-like PIMCO and BlackRock-that SAFE was one of their most important confidential clients.”
[4] Maxime Perriot, “Surcharges ou surtaxes du FMI : Comment le Fonds monétaire international s’enrichit sur le dos des pays les plus en difficultés dans l’opacité la plus totale », CADTM, 19 décembre 2023, https://www.cadtm.org/Surcharges-ou-surtaxes-du-FMI-Comment-le-Fonds-monetaire-international-s.
[5] In 2013, one year before the first full year of BRI implementation, emergency rescue lending represented only 5% of China’s overseas lending to LICs and MICs. By 2021, 58% of China’s overseas lending to LICs and MICs consisted of emergency rescue lending. The People’s Bank of China (PBOC)-China’s central bank-is by far the most important financier of international emergency rescue lending operations, which explains why it had assumed a dominant role in Beijing’s LIC and MIC lending portfolio by 2020. In March 2023, a team of researchers from AidData, the World Bank, the Harvard Kennedy School, and the Kiel lnstitute for the World Economy published a study that explains why Beijing has undertaken rescue lending operations worth nearly $250 billion in 22 countries (Horn et al. 2023a). They find that most of these operations have taken place in BRI participant countries with high levels of outstanding (infrastructure project) debt to Chinese banks and companies. They also find that bailouts from Beijing are directed to distressed government borrowers at times when their foreign exchange reserve levels are low and their credit ratings are weak. Source : Horn, Sebastian, Bradley C. Parks, Carmen M. Reinhart, and Christoph Trebesch. 2023a. China as an International Lender of Last Resort. NBER Working Paper #31105. Cambridge, MA:NBER https://www.aiddata.org/publications/china-as-an-international-lender-of-last-resort
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
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